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Par ZAZA-RAMBETTE le 23 Avril 2011 à 06:02
V. - BATZ (fin)
Un des jeunes gens du rassemblement vient nous trouver, l’air atterré et confirme nos inquiétude.
Ses amis sont saouls et se disputent avec le patron de la barque qui a démonté le carburateur.
En passe de voir partir son gagne-pain, et ne voulant pas nous accompagner, il a cherché à immobiliser le bateau.
A quelques pas de nous, la querelle s’envenime et prend un vilain tour de bagarre.
Je juge immédiatement la situation fichue et suggère de rentrer à l’hôtel. car il n’est plus question de partir le soir même.
Si ces ivrognes arrivent à embarquer, mieux vaut les laisser se débrouiller seuls que se riquer en pareille compagnie.
Nous retrouvons ce soir-là notre logis, désabusés mais non abattus.
C’est aussi pour moi qui n’avait pas encore vu grand chose, un premier contact pénible avec les réalités de l’existence.
L’aube du lendemain nous trouve éveillés. Nous regardons par la fenêtre et voyons comme prévu la barque toujours à quai.
En prenant notre petit déjeuner, nous décidons de reprendre l’expédition à notre compte et de la mener à bien.
Etienne connaît le propriétaire.
Il ira le trouver avec Roger pour obtenir qu’il nous donne la barque et nous signe un papier.
Pendant ce temps, j’irai à ROSCOFF acheter une boussole.
Quant au patron, nous réunissons les fonds qui nous restent pour le désintéresser.
J’ai compté sans Monsieur le Maire...!!!
Quand je veux m’embarquer pour ROSCOFF, après avoir quitté mes deux compagnons, il me fait arrêter par un gendarme et conduire à la Mairie, où il me déclare qu’il me défend de sortir de l’île.
Je proteste énergiquement et, prenant à témoin mes deux souliers, lui fait savoir que j’ai besoin de me procurer une paire d’espadrille convenable et du linge un peut décent.
Le vieux froussard craint surtout, je crois que les Allemands, en arrivant, ne lui fassent du mal et ne veut en aucune façon se les mettre à dos.
Il finit par se laisser partir. Je suis dégoûté de sa veulerie et je crois que la population pense de même. Le gendarme, en me raccompagnant au port, me le confirme. Il est vrais aussi que ce gaillard-là ne porte pas son uniforme, on ne sait jamais …
Une heure plus tard, je suis dans le port de ROSCOFF, intact et désert.
Les Allemands l’ont traversé rapidement, ne laissant sur place qu’une auto-ambulance démolie, seul vestige de leur passage.
L’unique boussole trouvée dans les boutiques est un mauvais petit instrument d’une précision plus qu’aléatoire, mais tel quel, il est précieux.
A midi, je retrouve mes deux complices à la table. Ils se sont fortement inquiétés de mon retard.
Leur mission a réussi, ils se trouvent en possession du papier et du bateau.
Le patron, voyant l’agent a dit : « Si c’est comme ça .. » et s’est retiré du jeu.
Tout allait bien lorsque les deux matelots de la barque sont venus réclamer un dédommagement que nous étions bien en peine de leur donner.
Ils sont ensuite allés trouver le propriétaire et, sans doute le menacer de dénonciation.
Celui-ci a voulu reprendre son papier et mes deux amis n’ont pu s’en tirer qu’à force de diplomatie et de paroles apaisantes.
Je suis encore en train de les écouter, quand la patronne de l’hôtel fait irruption dans la salle à manger, l’air affolé.
Pour noyer leur désappointement, les deux matelots sont, en effet, venus boire au café attenant à l’hôtel.
Elles les a entendus décider de mettre le feu à l’essence qui reste dans la barque.
Cette brave femme, dont le mari a été fait prisonnier sur le front de l’Est, est au courant de nos intentions.
Nous nous concertons rapidement.
- « La mer est-elle assez haute pour sortir du port ? »
- « Tout juste », dit Etienne, « elle descend »
- « J’ai repéré des jetées de marée basse à ROSCOFF. On peut y emmener le bateau pour le mettre à l’abri des entreprises de ces messieurs. »
- « Il faut justement que je prenne de l’essence à SAINT-POL… Je pars avec toi », dit Etienne, « nous laisserons Roger, qui connaît maintenant les gens du pays, rassembler les meilleurs de l’équipe d’hier et nous rejoindre ».
Roger approuve, nous devons le reprendre avec son groupe soit au port, soit à ROSCOFF, où il nous joindra, en cas d’ennui avec les autorités de l’île.
Pauvre patronne, qui a préparé un si bon déjeuner.
Nous l’avons à peine entamé et nous courons comme des fous le long du quai pour atteindre notre barque avant que la marée baisse.
Pourvu que les matelots et ce damné Maire ne viennent pas nous gêner …
Le bateau est vide, nous y sautons. Etienne me tend le carburateur pour le remonter.
Je revisse le tout à l’envers dans ma hâte et mon inexpérience.
Nous perdons un temps précieux.
Déjà la barque talonne le fond.
Ouf !… ça y est !…
Nous partons juste à temps en raclant un peu et nous dirigeons sur ROSCOFF.
Durant le trajet, nous mettons le projet au point.
Etienne sait en effet où, à SAINT-POL, est cachée de l’essence anglaise et fait un rapide calcul de la quantité et du temps qu’il lui faudra.
Il me rejoindra sur la jetée de marée basse à cinq heures.
Nous convenons que si jamais il lui arrive malheur nous partons sans lui à la voile à cinq heures trente, dernier délai.
« La Mouette », c’est le nom du bateau, se balance mollement, accrochée à un anneau du quai.
Je surveille pensivement l’horizon. Nous sommes lancés à fond dans un projet trop rapidement conçu pour réussir et mon esprit méthodique en retourne les lacunes en imaginant comment les rattraper.
Je suis seul sur la côte, loin de mes deux acolytes et sans liaison avec eux.
Bah !… Il ne reste plus qu’à se confier à la Providence.
Un émissaire de Roger vient de me rejoindre en me signifiant que tout marche à BATZ.
Il m’aide à changer le mouillage car l’heure avance et couvre la jetée.
Nous terminons les préparatifs.
Ce jeune breton, vif et alerte, est celui qui nous avait prévenu de l’état de ses amis la veille.
Il me raconte les bruits qui courent sur les évènements.
On parle d’un certain générale de GAULLE, de l’entrée en guerre des Américains, de la ligne Maginot qui résiste toujours.
J’écoute distraitement, car l’inquiétude me tenaille, pas de trace d’Etienne.
Depuis longtemps les derniers délais que je lui ai donnés sont écoulés et j’hésite à prendre la décision fixée.
Il est déjà six heures et il n’y a plus de place pour mouiller.
La mer vient de couvrir le haut de la petite jetée.
Tant pis !… je donne le signal du départ et nous hissons la voile.
L’expédition devient hasardeuse, mais il faut la tenter.
Je n’ai jamais autant été frappé par cette coïncidence malicieuse qui fait venir l’objet de votre attente, quand vous quittez la place.
Nous sommes à quelques mètres du bord lorsqu’une auto noire apparaît dans la poussière et s’arrête, ouf !… juste à temps !…
C’est bien Etienne, le trajet a été plus long qu’il l’avait prévu.
Avec de l’eau jusqu’aux genoux, nous chargeons le bateau que nous avons ramené à quai.
A la dernière minute encore, on nous hèle du bord.
Trois hommes, un vieux et deux jeunes nous appellent… Police ?…Cela n’en n’a pas l’air.
- « Que voulez-vous », dis-je.
- « Vous partez en Angleterre, nous en sommes sûr », me crie le plus âgé.
Je commence à croire que cela est écrit sur nos visages, c’est exaspérant.
- « De quoi vous mêlez-vous », hurlé-je.
- « Vous passez en Angleterre, j’en suis sûr », insiste l’homme. « Moi et mes deux fils voulons y aller aussi. Nous avons l’âge de combattre ».
Etienne s’est avancé avec moi pour les examiner. Ils ont des visages ouverts et paraissent sincères.
Nous n’avons pas le temps de discuter et abandonnons toute prudence.
- « Allez ouste !.. entre là-dedans, on part, et cette fois pour de bon ».
Le vieux se tait pendant la manœuvre puis s’explique avec volubilité.
Il nous montre ses papiers d’identités et déclare qu’il a entendu à la Radio l’appel du Général de GAULLE et emmené ses deux fils qui sont volontaires.
Ce sont de grands gaillards à l’air sympathique qui nous aident à ranger essence et provisions.
A la nuit tombante, nous approchons de BATZ.
Mais qu’est-ce encore ?…
Nous nous frottons les yeux pour chasser l’hallucination. Elle persiste, tenace. La jetée de BATZ est noire de monde.
Que se passe-t-il ?…
Décidément, le secret est bien gardé.
Nous tournons en rond dans le port avant de nous décider à aborder, lorsque je reconnais Roger et son petit groupe qui nous fait signe d’accoster.
Nous prenons rapidement nos mesures pour filtrer les passagers car deux ou trois ivrognes de la veille sont à côté d’eux et nous ne voulons pas les emmener.
Roger saute à bord, un, deux, trois, quatre, assez …
Nous écartons le bateau d’un coup de gaffe.
Tout BATZ est là et bavarde et nous acclame, sauf Monsieur le Maire qui doit avoir des coliques…
« Qu’est ce que les Allemands vont lui passer quant ils sauront ça …. ».
Nous répartissons les ordres et les charges, dans les ténèbres qui commencent à nous faire tâtonner. Bruits confus …
- « A droite, allons … Il ne manque rien ? »
- « J’ai apporté des cordages de rechange », dit l’un.
- « Moi des vivres… »
- « Moi un drapeau.. »
- « Qui a amené un compas ? » demandé-je…
Pas de réponse.
- « Qui connaît la passe et peut nous guider pour sortir de l’île ? »
Un vieux pêcheur se propose pour tenir la barre.
Je la lui confie avec soulagement.
Etienne triture le moteur et fait le plein.
Au bout de dix minutes tout est en ordre.
Nous sommes onze à bord, « La Mouette » vire.
En route !…
Nous doublons la jetée.
Sur la mer noire que font étinceler encore les dernières lueurs du soleil,
la barque s’éloignant ronfle et fait bruire l’eau qui s’écoule le long de ses flancs, tandis que de la jetée montent les vivats de la foule et que remplis d’émotion et d’enthousiasme, nous braillons la Marseillaise et le Chant du Départ.
A DEMAIN POUR LA FIN DE CETTE HISTOIRE AUTHENTIQUE
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