Selaouit, mar hoc’h eur c’hoant,
Setu aman eur gaozic koant,
Ha na euz en-hi netra gaou,
Mès, marteze, eur gir pe daou.
***
Ecoutez, si vous voulez,
Voici, un joli petit conte,
Dans lequel il n’y a pas de mensonge,
Si ce n’est, peut-être, un mot ou deux.
A partir de ce soir là, Jean l'Or eut pour la bête des attentions
particulières.
Plusieurs semaines s'écoulèrent sans rien amener de nouveau.
Mais, un matin, la bête dit à Jean l'Or :
- « Le moment est venu. J'ai vu tout à l'heure Satan qui allait se promener à pied.
Selle-moi donc solidement, enfourche-moi et partons. Tu emporteras pour tout bagage le baquet dans lequel tu vas nous puiser de l'eau, ainsi que l'étrille et la brosse. »
Les voilà en route pour la terre bénite.
Le cheval galopait, galopait. Il galopa tout le jour. Le soir arriva. Le cheval tourna la
tête et dit à Jean l'Or :
- « C'est l'heure où le diable rentre chez lui. Il sait maintenant notre fuite. Regarde
derrière toi. N'aperçois-tu rien ? »
- « Non », fit Jean l'Or.
Et la bête d'aller toujours.
La nuit se leva, claire.
Le cheval dit encore :
- « Regarde derrière toi. N'aperçois-tu rien ? »
- « Si », répondit Jean l'Or; « cette fois, je vois venir le diable et il marche bon
train. »
- « Jette donc le baquet », dit la bête.
A peine le baquet eut-il touché le sol qu'il en jaillit un torrent.
Le torrent devint un fleuve et le fleuve un étang immense.
Le diable a peur de l'eau. Au lieu de traverser l'étang, il se mit à en faire le tour.
C'était du temps gagné pour nos fugitifs.
Au bout d'une heure ou deux, le cheval redemanda :
- « Jean l'Or, n'aperçois-tu rien ? »
- « Si », répondit Jean l'Or, « le diable a tourné l'étang. »
- « Jette donc la brosse », dit la bête.
A peine la brosse eut-elle touché terre que chacun des poils devint un arbre gigantesque, en sorte que le diable se trouva pris dans une forêt inextricable.
Avant qu'il fût parvenu à s'en dépêtrer, Jean l'Or et sa monture l'avaient distancé de
beaucoup.
Au bout d'une heure ou deux, le cheval, pour la troisième fois, interpella son cavalier
:
- « N'aperçois-tu rien ? »
- « Si, je vois le diable qui sort du bois. Il se hâte, il se hâte.
»
- « Jette donc l'étrille. »
L'étrille était à peine jetée qu'à la place où elle venait de tomber s'élevait une
montagne énorme, vingt fois plus haute que le Ménez-Mikel. Elle était encore plus large que haute.
Le diable préféra la gravir que d'en faire le tour.
Pendant ce temps-là, le cheval volait aussi vite que le vent.
Déjà l'on pouvait voir la terre bénite verdoyer au loin, avec ses champs, ses prairies et ses landes.
- « Jean l'Or ! Jean l'Or ! interrogea la bête, toute haletante, est-ce que le diable nous
suit toujours ? »
- « Il descend la pente de la montagne », répondit Jean l'Or.
- « En ce cas, demande à Dieu qu'il nous vienne en aide: il ne nous reste plus d'autre
moyen de salut. »
Satan était, en effet, à leurs trousses. Il était presque sur eux quand le cheval fit un
dernier bond, un bond désespéré.
Ses deux pieds de devant retombèrent sur la terre bénite juste au moment où le diable l'empoignait par la queue.
Tout ce que celui-ci put remporter chez lui, ce fut une touffe de crins.
Le cheval, qui avait repris forme humaine, dit à Jean l'Or :
- « Nous allons nous séparer ici. Moi, je vais de ce pas au purgatoire; toi, retourne en
Basse-Bretagne et ne pèche plus. »
Jean l'Or s'en retourna en Basse-Bretagne, content d'avoir ramené une âme de l'enfer, plus
content d'en être sorti lui-même, et bien résolu d'ailleurs à faire tout son possible pour ne plus y revenir, ni de son vivant, ni après sa mort.