Eur wech a oa, eur wech a vô,
Comansamant ann holl gaozo :
N’eûs na mar na martezé
Hen eûs tri droad ann trèbè.
Il y avait une fois, il y aura un jour,
C’est le commencement de tous les contes.
Il n’y a ni si ni peut-être,
Le trépied a bien trois pieds.
En ce temps-là, j'étais petite servante, placée à Kersaliou. Barthélémy Roparz, le maître de la maison,
vint à mourir.
C'était au commencement de juillet : le fils aîné, Luis, travaillait dans une prairie voisine à faner
les foins, avec les domestiques.
On m'envoya le prévenir de rentrer de suite. Le vieux Barthélémy Roparz venait de passer.
Peu après, les autres travailleurs rentrèrent aussi, pour la collation de trois heures.
Quand ils eurent fini de manger, l'un d'eux demanda :
- « Est-ce qu'il faut retourner au pré ? »
- « Oui, bien sûr », répondit le fils Roparz. « Le temps menace et, si les foins ne sont pas terminés
aujourd'hui, ils risquent d'être perdus demain. »
- « Ce n'est pas l'usage, quand il y a un mort sur les tréteaux », fit observer le vieux Christophe
Loarer qui était à Kersaliou depuis près de trente ans.
Louis Roparz lui dit avec dureté :
- « Le maître ici, désormais, c'est moi, je pense, et non pas vous. Allez, et faites ce que je vous
commande. »
Ils allèrent, quoique à contrecœur.
Comme ils approchaient du pré, ils ne furent pas peu surpris de voir qu'un homme les y avait devancés,
qui se promenait de long en large, semblant prendre plaisir à piétiner les foins.
Lorsqu'ils furent plus près encore, leur étonnement se changea en frayeur, car, à la démarche et aux
vêtements de l'étrange promeneur, ils le reconnurent pour Barthélémy Roparz en personne.
Le vieux Loarer prononça :
- « Doué da bardon' an Anaon ! » (Dieu pardonne aux défunts).
La vision disparut, et les hommes pénétrèrent dans la prairie où ils trouvèrent leurs fourches
disposées deux par deux.
- « Ce foin-ci, vous verrez, ne vaudra pas grand-chose », dit le vieux Loarer à ses compagnons.
Cependant, à quelques jours de là, quand on le mit en meule dans la cour du manoir, le foin avait belle
apparence...
Des mois s'écoulèrent.
Le propos de Loarer était depuis longtemps sorti de l'esprit des domestiques et Loarer lui-même ne
faisait plus mine de s'en souvenir.
Un soir, Louis Roparz dit au valet d'écurie :
- « Marquis » (c'était un surnom qu'on lui donnait), « tu prendras dorénavant le fourrage des bêtes au
tas de foin de cette année. »
On était à la fin de l'automne, dans la saison des labours.
Lorsque, le lendemain matin, on voulut atteler à la charrue la meilleure jument de Kersaliou, c'est à
peine si elle pouvait tenir sur ses jambes, et, dans la journée, elle creva.
Moins d'une semaine plus tard, ce fut le tour d'une autre jument, une poulinière magnifique qui n'avait
pas sa pareille dans le canton.
Cette fois, le fils Roparz fit venir le vétérinaire qui s'enquit de ce qu'on avait donné à manger à la
bête.
On lui montra le foin qu'il trouva de belle qualité.
- « Il y a quelque chose », déclara-t-il, « mais je ne sais pas quoi. »
Et sa science ne servit pas d'avantage pour les autres chevaux; car, en l'espace d'une petite quinzaine,
toute l'écurie y passa.
C'était la ruine pour Roparz.
Le fils devint triste, sombre: par surcroît, il se mit à boire.
Le soir de Noël, il ne rentra pas. La mère nous envoya dans toutes les directions à sa
recherche.
Ce fut Christophe Loarer qui le découvrit : il s'était pendu à la branche d'un pommier.
D'avoir manqué à son père défunt lui avait porté malheur.