Dans la série des contes
de basse-Bretagne
LES CINQ FRÈRES
MÉTAMORPHOSÉS EN MOUTONS
ET LEUR SŒUR ! ...
Fin
Son mari était étonné de les voir si intelligents, et il se demandait si c’étaient bien là des moutons véritables.
Lévénès devint enceinte.
Elle avait une suivante, dont le jardinier du château était l’amant, et qui se trouvait aussi enceinte, sans que sa maîtresse en sût rien.
C’était la fille de la vieille qui avait changé ses frères en moutons, et elle l’ignorait également.
Un jour, que Lévénès se penchait sur le rebord d’un puits, qui était dans le jardin, pour en voir la profondeur, sa suivante la prit par les pieds et la précipita dans le puits.
Après quoi, elle courut à la chambre de sa maîtresse, se coucha dans son lit, ferma les rideaux des fenêtres et ceux du lit, et feignit d’être malade, en peine d’enfant.
Le seigneur était absent, pour le moment.
Mais, à son retour, ne trouvant pas sa femme dans le jardin, au milieu de ses moutons, comme d’habitude, il se rendit à sa chambre.
— « Qu’avez-vous, mon petit cœur ? » lui demanda-t-il, croyant la trouver couchée,
— « Je suis bien malade », répondit la traîtresse. » Et, comme il voulait entrouvrir les rideaux :
— « Je vous en prie, n’ouvrez pas les rideaux, je ne puis supporter la lumière. »
— « Pourquoi restez-vous seule ainsi ? Où est votre suivante ? »
— « Je ne sais ; je ne l’ai pas vue, de toute la journée. »
Le seigneur la chercha partout, dans l.e château, puis dans le jardin, et, ne la trouvant pas, il revint auprès de sa femme, et lui dit :
— « Je ne sais ce qu’est devenue votre suivante, je ne la trouve nulle part. Avez-vous besoin de quelque chose ? Vous avez peut-être faim ? »
— « Oh ! Oui, j’ai grand’faim ? »
— « Que désirez-vous manger ? »
— « Il me faut un morceau du grand mouton blanc qui est dans le jardin, accompagné de haricots verts et de champignons. »
— « Quel caprice ! Vous qui aimiez tant vos moutons, et celui-là par-dessus les autres ! »
— « Il n’y a que cela qui puisse apporter quelque soulagement au mal affreux dont je souffre. Mais, ne vous trompez pas, c’est du grand mouton blanc que je veux manger, et non d’aucun autre. »
Le mari descendit au jardin, et donna l’ordre au jardinier de prendre le grand mouton blanc, pour être aussitôt tué et mis à la broche.
Et voilà le jardinier, qui était de connivence avec la suivante, de courir après le mouton blanc.
Mais, celui-ci courait si rapidement, autour du puits, en bêlant tristement, qu’il ne pouvait l’attraper.
Le seigneur, voyant cela, veut lui venir en aide et s’approche du puits.
Il est étonné d’entendre des plaintes et des gémissements, qui semblent en sortir. Il se penche sur l’ouverture, et demande :
— « Qui est-là ? Y a-t-il quelqu’un dans le puits ? »
Et une voix plaintive, et qu’il connaissait bien, lui répondit :
— « Oui, c’est moi, votre femme Lévénès. »
Le seigneur, sans attendre d’autre explication, mit une échelle dans le puits, avec une chandelle, ce qui permit à Lénévès de remonter.
La frayeur de la pauvre Lévénès avait été telle, qu’elle en accoucha aussitôt d’un fils beau comme le jour.
— « Il faut faire baptiser l’enfant, sur-le-champ, dit-elle ; vous lui donnerez la marraine que vous voudrez, mais, je veux que le parrain soit mon grand mouton blanc. »
— « Quoi ! Donner un mouton pour parrain à votre fils !... »
— « Je le veux ainsi, je vous le répète ; obéissez-moi, et ne vous inquiétez de rien. »
Pour ne pas contrarier la jeune mère, et de crainte d’aggraver son mal, le père consentit, quoique à contrecœur, à ce que le grand mouton blanc fût le parrain de son enfant.
On se rendit à l’église.
Le grand mouton blanc, tout joyeux, marchait de front avec le père et la marraine, une jeune et belle princesse.
Les quatre autres moutons, ses frères, les suivaient.
Tout ce cortège entra dans l’église, au grand étonnement des habitants du village.
Le père présenta l’enfant au prêtre. Celui-ci regarda la marraine, mais, ne voyant pas de parrain, il demanda :
— « Où est donc le parrain ? »
— « Le voici », répondit le père, en lui montrant le grand mouton blanc.
— « Comment, un mouton !... »
— « Oui, selon l’apparence ; mais, ne vous arrêtez pas à la forme, et procédez sans crainte à la cérémonie. »
Le prêtre ne fit pas d’objections, les métamorphoses de ce genre étant, sans doute, communes, de son temps, et il se mit en devoir de baptiser l’enfant.
Le mouton se leva alors sur ses deux pieds de derrière, prit son filleul avec ses deux pieds de devant, aidé par la marraine, et tout se passa pour le mieux.
Mais, aussitôt la cérémonie terminée, le mouton parrain devint un beau jeune homme.
C’était Goulven, le frère aîné de Lévénès.
Il raconta comment ses frères et lui avaient été changés en moutons, par une vieille sorcière, parce qu’il avait refusé de l’épouser.
Sa sœur, la mère de l’enfant, qui avait été témoin de la métamorphose, ne pouvait en rien dire, sous peine d’éprouver le même sort ; mais, à présent, le charme était rompu, et la sorcière n’avait plus aucun pouvoir sur eux.
— « Ces moutons sont donc vos frères ? » demanda alors le prêtre.
— « Oui, ce sont mes frères ; et le moment est venu, pour eux aussi, d’échapper au pouvoir de la sorcière et de recouvrer leur forme humaine. Posez sur eux votre étole, récitez une oraison, et vous les verrez redevenir hommes, comme moi. »
Le prêtre suivit ce conseil : il posa son étole sur les moutons, successivement, récita une oraison, à chaque fois, et aussitôt ils revinrent à leur forme première.
Goulven raconta alors la trahison dont sa sœur avait été victime, de la part de sa suivante, la fille de la sorcière.
On retourna au château, et l’on songea à récompenser chacun selon qu’il l’avait mérité.
On envoya chercher la vieille sorcière, dans le bois qu’elle habitait, et quand elle fut arrivée, sa fille et elle et le jardinier furent écartelés, chacun entre quatre chevaux, puis ils furent jetés dans un grand bûcher et réduits en cendres.
Goulven et Lévénès vécurent alors heureux et tranquilles, chacun de leur côté et eurent, dit-on, beaucoup d’enfants.
Conté par Le Noac’h, de Gourin, à Merville,
près Lorient, le 10 mars 1874.