Dans la série des contes
de basse-Bretagne
LES CINQ FRÈRES
MÉTAMORPHOSÉS EN MOUTONS
ET LEUR SŒUR ! ...
Deuxième partie
Les pauvres enfants s’en retournèrent à la maison, tout triste et tout tremblant, et se hâtèrent de raconter à leur sœur ce qui leur était arrivé.
— « Serai-je donc obligé d’épouser cette horrible vieille, ma sœur ? » demanda Goulven, en pleurant.
— « Non, mon frère, tu ne l’épouseras pas », lui répondit Lévénès ; « je sais que nous aurons à en souffrir tous ; mais, nous souffrirons ce qu’il faudra, et ne t’abandonnerons pas. »
La sorcière vint au château, le lendemain. Comme elle l’avait promis.
Elle trouva Lévénès et ses frères dans le jardin.
— « Vous savez, sans doute, pourquoi je viens… » dit-elle à Lévénès.
— « Oui, mon frère m’a tout raconte », répondit la jeune fille.
— « Et vous voulez bien que je devienne votre belle-sœur ? »
— « Non, cela ne peut pas être. »
— « Comment, non ? Mais vous ne savez donc pas qui je suis, et ce dont je suis capable ? »
— « Je sais que vous pouvez nous faire beaucoup de mal, à mes frères et à moi ; mais, vous ne pouvez pas me faire consentir à ce que vous me demandez. »
— « Songez-y bien, et revenez vite sur cette sotte résolution, pendant qu’il en est temps encore, ou malheur à vous ! » Cria la sorcière, furieuse, et les yeux brillants comme deux charbons ardents.
Les cinq frères de Lévénès tremblaient de tous leurs membres ; mais, elle, calme et résolue, répondit à ces menaces :
— « C’est tout songé, et je n’ai rien à changer à ce que j’ai dit. »
Alors, l’horrible vieille tendit vers le château une baguette qu’elle tenait à la main, prononça une formule magique, et aussitôt le château s’écroula, avec un grand bruit.
Il n’en resta pas pierre sur pierre.
Puis, retournant la baguette vers les cinq frères, qui se cachaient derrière leur sœur et un troupeau de moutons, saisis d’épouvante, elle prononça une autre formule magique, et les cinq frères furent aussitôt métamorphosés en cinq moutons blancs.
Elle dit ensuite à Lévénès, qui avait conservé sa forme naturelle :
— « Tu peux, à présent, aller garder tes moutons, sur cette lande. Et encore ne dis jamais à personne que ces moutons sont tes frères, ou il t’arrivera ce qui leur est arrivé. »
Puis elle partit, en ricanant.
Les beaux jardins du château et le grand bois qui l’entourait avaient été changés aussi, instantanément, en une grande lande, aride et désolée.
La pauvre Lévénès, restée seule avec ses cinq moutons blancs, les faisait paître sur la grande lande, et ne les perdait pas de vue, un seul instant.
Elle leur cherchait des touffes d’herbe fraîche, qu’ils mangeaient dans sa main, et jouait avec eux, et les caressait, les peignait, et leur parlait, comme s’ils la comprenaient.
Et ils paraissaient la comprendre, en effet.
Un d’eux était plus grand que les autres ; c’était Goulven, l’aîné de ses frères.
Lévénès avait construit, avec des pierres, des mottes de terre, de la mousse et des herbes sèches, un abri, une sorte de hutte, et, la nuit, ou quand il pleuvait, elle s’y retirait avec ses moutons.
Mais, quand le temps était beau, elle courait et bondissait au soleil avec eux, ou chantait des chansons et récitait ses prières, qu’ils écoutaient attentivement, rangés en cercle autour d’elle.
Elle avait une fort belle voix, claire et juste.
Un jour, un jeune seigneur, qui chassait dans ces parages, fut étonné d’entendre une si belle voix, dans un pays si désert.
Il s’arrêta, pour l’écouter ; puis, se dirigeant vers elle, il se trouva bientôt devant une belle jeune fille, entourée de cinq moutons blancs, qui paraissaient l’aimer beaucoup.
Il l’interrogea, et fut si frappé de sa douceur, de son esprit et de sa beauté, qu’il voulut l’emmener avec lui, à son château, elle et ses moutons.
Elle refusa.
Mais, le jeune seigneur ne rêvait plus que de la jolie bergère, et, tous les jours, sous prétexte de chasser, il allait la voir et causer avec elle, sur la grande lande.
Enfin, il l’emmena avec lui à son château, et ils se marièrent, et il y eut de grands festins et de belles fêtes.
Les cinq moutons avaient été introduits dans le jardin du château, et Lévénès y passait presque toutes ses journées, à jouer avec eux, à les caresser, à les couronner de fleurs ; et ils semblaient être sensibles à toutes ces attentions.
Fin de la deuxième partie