Dans la série des contes de basse-Bretagne
LE CHAT NOIR
Troisième partie
Selaouit holl, mar hoc’h eus c’hoant,
Setu aman eur gaozic koant,
Ha na eus en-hi netra gaou,
Mès, marteze, eur gir pe daou.
Écoutez, si vous voulez,
Voici un joli petit conte,
Dans lequel il n’y a pas de mensonge,
Si ce n’est, peut-être, un mot ou deux.
Le père et sa fille s’entendirent donc pour passer la mer, et aller aussi loin qu’ils pourraient.
Ils s’assurèrent d’une embarcation et, une nuit, ils partirent secrètement, et se dirigèrent vers le rivage le plus voisin.
Mais, au moment où ils s’apprêtaient à mettre à la voile, ils virent la méchante femme accourir vers eux, en faisant des signes avec ses mains et criant à son mari :
— "Arrête ! Arrête ! Où prétends-tu aller, si follement ? Tu ne vois donc pas, étourdi, que tu as oublié d’emporter ton petit livre rouge ? Tu sais cependant bien que tu ne peux rien sans lui : retourne le prendre à la maison, pauvre écervelé, puis je te laisserai aller où tu voudras, avec ta fille."
Le pauvre homme, habitué depuis longtemps à obéir aveuglément à sa femme et à ne jamais la contredire, n’osa pas continuer sa route, et ne vit pas le piège qu’on lui tendait.
Il revint donc au rivage, ancra la barque sur le rivage, et retourna au château pour prendre son petit livre rouge.
Sa femme lui promit de l’attendre auprès du bateau, où Yvonne était restée seule. Mais, à peine l’eut-elle perdu de vue, qu’elle dénoua l’amarre, et la barque, poussée par une bonne brise de terre, s’éloigna promptement, emportant la pauvre fille, malgré ses cris et ses lamentations.
Suivons-la et laissons la méchante marâtre et sa fille ; nous les retrouverons plus tard.
Après avoir erré plusieurs jours et plusieurs nuits, au gré des flots et des vents, l’embarcation aborda enfin à une petite île.
Yvonne, qui se croyait perdue, reprit espoir, et elle se mit à parcourir l’île, à la recherche de quelque habitation.
Mais, elle ne trouva ni habitation, ni habitant ; l’île était déserte.
Comme elle marchait, triste, sur le rivage, elle aperçut, parmi les rochers, quelque chose qui ressemblait à la porte d’une habitation humaine.
Elle s’en approcha, y heurta d’un bâton qu’elle avait à la main, et la porte céda facilement. Elle vit alors une grotte, qui paraissait habitée, avec quelques ustensiles indispensables, comme une marmite et un pot à eau, une écuelle et des plats de bois, et enfin un lit assez convenable; mais, aucun être vivant, par ailleurs.
— "C’est sans doute un ermitage", se dit-elle.
Et elle s’assit sur un escabeau, pour attendre l’ermite, qu’elle présumait s’être retiré dans cette solitude, pour faire pénitence.
Mais, après avoir attendu assez longtemps, comme personne ne venait et qu’elle avait faim, elle alla se promener sur le rivage.
Elle y trouva en abondance des coquillages de toute sorte, qu’elle mangea tout crus.
Puis, au coucher du soleil, elle revint à la grotte, et n’y trouva personne encore.
Comme elle était fatiguée, elle se résolut alors à se coucher tout habillée sur le lit. Elle dormit, toute la nuit, d’un fort bon sommeil, et lorsqu’elle s’éveilla, le lendemain matin, elle était toujours seule.
— "Décidément", se dit-elle, "l’ermitage est abandonné, et je n’ai rien de mieux à faire que de m’y établir."
Toute la journée, elle explora son île, et put s’assurer qu’elle était complètement inhabitée.
Elle recueillit des coquillages sur le rivage et les cuisit, pour son repas.
Puis, elle se coucha, plus rassurée que la veille, et dormit jusqu’au lendemain matin, sans que rien vînt encore troubler son sommeil.
L’île produisait aussi quelques fruits, de sorte qu’elle trouva assez facilement sa nourriture de chaque jour.
D’un autre côté, elle n’y avait aperçu ni entendu aucune bête fauve, qui pût lui inspirer de la crainte.
Elle était donc réellement maîtresse et reine de l’île, et, n’était la solitude complète dans laquelle elle se trouvait, elle ne croyait pas avoir lieu de regretter la maison de sa marâtre.
Au bout de trois semaines de cette existence, un jour elle se sentit bien malade. Elle attribua son mal aux coquillages ou aux fruits qu’elle avait mangés.
Mais, quel ne fut pas son étonnement, lorsqu’elle découvrit qu’elle était enceinte ! Elle ne pouvait s’expliquer son état.
Elle accoucha avec de grandes douleurs, et donna le jour... à un petit Chat noir.
Elle n’osait d’abord en croire ses yeux; cependant, lorsqu'il lui fut bien démontré que c’était bien un chat et non un enfant, elle dit avec résignation :
— "C’est Dieu qui me l’a donné; je dois donc le recevoir, sans me plaindre, comme venant de lui, et le traiter comme mon enfant, puisque c’est sa volonté."
Elle présenta le sein au petit Chat, et il téta, tout comme un enfant.
Elle s’habitua promptement à le considérer comme son fils, et elle l’aima tout de même.
Elle jouait et se promenait avec lui, dans son île, et c’était pour elle une distraction et une société, dans sa solitude.
Le Chat grandissait vite et faisait preuve de beaucoup d’intelligence. Au bout de deux ou trois mois, c’était un magnifique Chat noir, comme il était rare d’en voir.
Fin de la troisième partie