Dans la série des contes de basse-Bretagne
LE CHAT NOIR
Quatrième partie
Selaouit holl, mar hoc’h eus c’hoant,
Setu aman eur gaozic koant,
Ha na eus en-hi netra gaou,
Mès, marteze, eur gir pe daou.
Écoutez, si vous voulez,
Voici un joli petit conte,
Dans lequel il n’y a pas de mensonge,
Si ce n’est, peut-être, un mot ou deux.
Un jour, au grand étonnement de sa mère, il lui parla de la sorte, tout comme un homme :
— "Je sais, ma pauvre mère, tout ce que vous avez souffert jusqu’aujourd’hui, pour moi, et la peine que vous éprouvez encore de me voir fait de cette façon; mais, consolez-vous, car bien que votre fils soit un Chat noir, ou que du moins il en ait l’apparence, vous n’aurez pas toujours honte de moi, et, un jour, il saura reconnaître toutes vos bontés et votre amour, et il vous vengera de celles qui vous ont fait tant de mal et voulu en faire davantage encore. En attendant, ma mère, faites-moi un bissac, que je mettrai sur mes épaules.
j’irai quêter pour vous, à la ville la plus voisine, et je vous en rapporterai quelque chose de meilleur que les moules, les brinics (patèles), les palourdes et autres coquillages qui, depuis que vous êtes dans cette île, composent votre unique nourriture."
— "Jésus ! Mon pauvre enfant", s’écria Yvonne, de plus en plus étonnée, "comment se fait-il que tu parles ainsi, tout comme un homme, bien qu’ayant toutes les apparences d’un Chat ?"
— "Je ne puis vous le dire, à présent, ma mère, mais, un jour, vous le saurez."
— "Je sais, mon enfant, que Dieu fait tout ce qu’il veut, et que nous devons trouver bon ce qu’il fait. Mais, je crains de te laisser aller seul hors de notre île; il pourrait t’arriver quelque malheur. Et puis, comment traverseras-tu la mer ?"
— "Ne craignez rien, ma mère, il ne m’arrivera pas de mal, parce que c’est par amour pour vous que je m’exposerai; et quant à ce qui est de traverser la mer, cela ne me sera pas difficile, car je sais nager comme un poisson."
Yvonne se laissa convaincre par les instances du Chat, et elle lui confectionna un bissac, comme il le désirait.
Le Chat le mit alors sur ses épaules, se jeta à la mer, et, comme il l’avait dit, il nageait comme un poisson, ce qui rassura sa mère, qui le suivait des yeux, du rivage.
Il prit terre, sans mal, et arriva à un port, situé sur la mer, comme qui dirait Lannion, ou Tréguier.
Comme il se dirigeait vers l’intérieur de la ville, le long des quais, des écoliers l’aperçurent :
— "Tiens ! tiens ! vois donc le drôle de Chat, qui porte un bissac sur ses épaules, comme un chercheur de pain (un mendiant) !" se dirent-ils les uns aux autres, en se le montrant du doigt.
Et les voilà de courir après le Chat, et de lui lancer des pierres.
L’animal entra dans la première porte qu’il trouva ouverte.
C’était celle de la maison du seigneur Rio, un des plus riches habitants de la ville.
Il s’arrêta au seuil de la porte de la cuisine, et se mit à crier :
"Miaou ! Miaou !"
La cuisinière, voyant ce gros Chat noir, qu’elle ne connaissait pour appartenir à aucun des voisins, prit son balai et se mit en devoir de le chasser; mais, elle fut bien étonnée de l’entendre lui demander, sans s’émouvoir :
— "Monseigneur Rio est-il à la maison ?"
Elle laissa son balai tomber à terre, d’étonnement, puis, comme le Chat renouvelait sa demande, elle répondit :
— "Non, il n’est pas à la maison, pour le moment, mais il rentrera bientôt, pour dîner."
— "Je n’ai pas le temps d’attendre", reprit le chat, "aussi, je vous prie de me mettre, vite, dans mon bissac, ce poulet que je vois à la broche, avec une bonne tranche de lard."
— "Comment, comment, vous donner ce poulet, qui est le diner de mon maître ? N’espérez pas cela, monsieur le chat."
— "Il me le faut pourtant; et de plus, je veux aussi du pain blanc et une bouteille de vin vieux, et vous voudrez bien me mettre tout cela dans mon bissac."
Comme la cuisinière hésitait, le Chat débrocha lui-même le poulet, puis il prit une bonne tranche de lard cuit, qui était dans un plat, sur la table de la cuisine, avec une bouteille de vin vieux, qui était à côté, d'autres victuailes de fruits et de lédumes, mit le tout dans son bissac, le chargea sur ses épaules et partit, en disant au revoir à la fille, tout ébahie de ce qu’elle voyait et entendait.
Il comptait bien revenir...!!!
Fin de la quatrième partie