La princesse du Palais enchanté (suite 3)
Efflam lui fit connaître l’objet de son voyage et ses infortunes, si bien que la vieille s’intéressa à lui et lui dit :
— Mais, mon pauvre enfant, je te plains d’être venu jusqu’ici. Quand mon fils rentrera,
tout à l’heure, il aura grand’faim, comme toujours, et, dès qu’il te verra, il se jettera sur toi et t’avalera d’une bouchée. Tu ferais donc bien de t’en aller, au plus
vite.
— Jésus mon Dieu ! s’écria Efflam, effrayé. Puis, après avoir réfléchi
:
— Après tout, grand-mère, être mangé par votre fils ou mis à mort par le roi de France, il
m’importe peu ; je veux donc rester, et si vous voulez bien me prendre sous votre protection…
— Tu m’intéresses beaucoup, reprit la vieille ; reste donc, et si mon fils essaye de te
faire du mal, je lui caresserai les épaules avec le bâton que voici.
Et elle lui montra le gros bâton avec lequel elle mêlait sa
bouillie.
Puis, elle cacha Efflam dans un coin de la salle, parmi un tas de fagots.
Son fils rentra aussitôt en criant :
— J’ai faim, mère ; j’ai grand’faim ! je meurs de faim ! Donnez-moi vite à manger
!
— Oui, mon fils, je vous ai préparé de la bonne bouillie d’avoine ; je vais vous la
servir, à l’instant.
Mais, il se mit à humer l’air et dit :
— Je sens odeur de chrétien ! Il y a un chrétien par ici, mère
!…
— Vous rêvez toujours de chrétiens à dévorer, lui répondit la vieille ; mangez votre
bouillie et tenez-vous tranquille.
— Non ! non ! Il y a un chrétien ici, et je veux le manger !
— Eh bien ! oui, il y en a un ; mon neveu, le plus jeune fils de mon frère, qui est venu
me voir, et vous ne lui ferez pas de mal, j’espère, ou gare à mon bâton !
Et elle lui montra du doigt son bâton, qu’elle avait déposé au coin du foyer ; puis, elle fit sortir
Efflam de sa cachette, et le présenta, à son fils.
— Le voilà, ton cousin, et si tu lui fais le moindre mal, gare au bâton, te dis-je
!
Le Soleil courba la tête et dit :
— Si c’est un cousin, mère, je ne lui ferai pas de mal.
Et il se radoucit, soupa gloutonnement.
Après quoi, il demanda à Efflam quel était l’objet de sa visite, et s’il pouvait lui être utile en quelque chose. Efflam répondit :
— Le roi de France, cousin, m’envoie vous demander pourquoi vous revêtez, chaque jour,
trois couleurs différentes, rose, le matin, blanc, à midi, et rouge, le soir, quand vous vous couchez ? Et il me faut lui rapporter votre réponse, sinon il me fera mourir.
— Je veux bien te dire cela, puisque tu es mon cousin, et pour que le roi de France ne te fasse pas mourir. Tu diras donc au roi de France que je suis rose, le matin, par l’effet de l’éclat de la princesse Enchantée (l’Aurore), qui, tous les matins, se tient à la fenêtre de son palais, pour me voir passer, à mesure que je monte sur l’horizon. A midi, je me dépouillé de ces teintes rosées et je deviens blanc et d’une ardeur dévorante ; mais, le soir, j’arrive au terme de ma course journalière, affaibli, rouge de fatigue et épuisé. Voilà, cousin, ce que tu peux dire au roi de France.
— Je vous remercie bien, cousin ; mais, avant de partir, je voudrais savoir encore
pourquoi vous tourmentez si cruellement, depuis deux cents ans, un pauvre homme que j’ai rencontré sur ma route, courant et criant, sur une immense plaine, sans jamais se reposer
?
— Oui, je te le dirai volontiers : je retiens cet homme-là à faire pénitence, et il y
restera aussi longtemps que le monde existera. Mais, ne lui dis cela qu’après que tu auras franchi la plaine, car autrement, il ne te laisserait pas passer (Le motif de
la punition manque ici ; c’est une lacune ou un oubli de ma conteuse. Voir à ce sujet les contes du cycle précédent, Voyages vers le Soleil).
— Je ne lui dirai rien, avant d’avoir franchi la plaine, mais, dites-moi encore, je vous
prie, pourquoi deux arbres que j’ai vus se battant, plus loin, des deux côtés d’un chemin creux, se maltraitent si cruellement, depuis trois cents ans ?
— Je te le dirai encore : ce sont deux époux qui se disputaient et se battaient
constamment, quand ils vivaient ensemble, et, pour les : punir, je veux qu’ils continuent de se battre, jusqu’à ce qu’ils aient écrasé un homme entre eux ; mais, cela durera encore, sans doute,
plusieurs milliers d’années, car il ne passe pas un homme tous les mille ans par là. Ne leur dis cela que quand tu auras passé, autrement, tu serais leur victime et ils seraient délivrés. Et à
présent, je te dis adieu, car il est grand temps que je commence ma course journalière et l’on m’attend déjà avec impatience.
— Encore une question, cousin ; ce sera la dernière.
— Parle vite, alors, car je suis déjà en retard.
— Et l’homme que j’ai rencontré ensuite, au bord de la mer, non loin d’ici, et que vous
retenez là en peine, depuis cinq cents ans ?
— Celui-là aussi expie ses péchés et ses fautes, et il restera là jusqu’à ce qu’un autre prenne sa place. Mais, ne lui dis pas cela, avant qu’il t’ait remis de l’autre côté de l’eau, autrement, il ne te ferait pas passer. Mais, adieu, et pas un mot de plus, car je suis en retard, et l’on m’attend avec impatience.
Et le Soleil partit pour sa course journalière.
Efflam prit congé de la vieille et partit aussitôt pour s’en retourner à Paris.
Il fit connaître les réponses du Soleil à ceux qu’elles intéressaient, sur son passage, et il arriva sans encombre à Paris.
— Eh bien ! lui demanda le roi, aussitôt qu’il le vit, as-tu accompli heureusement ton
voyage et m’apportes-tu la réponse du Soleil ?
— Oui, sire, mon voyage s’est accompli heureusement et je vous apporte la réponse du
Soleil.
— Alors, fais-la-moi connaître, bien vite.
Et Efflam lui fit connaître la réponse du Soleil.
A partir de ce moment, le vieux roi ne rêvait et ne parlait plus que de la Princesse au Palais-Enchanté.
Il en perdait la tête et devint sérieusement malade.
Le faux filleul lui dit encore, un jour :
— Vous devriez, sire, ordonner au jeune jardinier de vous aller quérir la Princesse du Palais-Enchanté ; il n’y a que sa présence qui puisse vous rendre la santé et votre gaieté et vos forces d’autrefois.
— Tu as raison, répondit le vieux roi ; fais appeler le jeune
jardinier.
A DEMAIN POUR LA SUITE