Le Penn Baz du mort ... !!!
Désiré Mingam, de Tréduder, le marchand de porcs, ayant perdu son penn-baz (bâton à tête ferrée) sur le Foarlac'h, à Lannion, en reçut un autre en cadeau d'un de ses confrères, de Rospez.
Or, le soir même, comme il rentrait souper à son auberge, le bâton qui lui avait été donné s'embarrassa si malencontreusement dans ses jambes qu'il alla heurter de la tête le pavé de la rue et resta à demi-mort sur la place.
Il guérit cependant au bout de quelque quatre ou cinq semaines.
Mais à peine avait-il recommencé à courir les foires que le penn-baz aussi recommença à lui jouer de mauvais tours.
A la fin, il se dit que cela n'était pas naturel et, résolu de ne plus se servir de cette trique de malheur, il la suspendit dans l'âtre par sa courroie de cuir.
Du temps se passa, des mois, peut-être des années.
Un jour d'hiver qu'il glaçait à force, notre homme eut la visite d'un cultivateur de l'Armor de Plestin qui venait l'entretenir d'affaires.
Une bouteille de cidre fut débouchée; et, comme son hôte était tout
transi, Désiré Mingam l'invita à s'installer avec lui auprès du feu, pour boire
Tout à coup, au moment précis où le cultivateur s'asseyait sur l'escabeau, dans le coin de l'âtre, le penn-baz suspendu dans la
cheminée se détacha comme de lui-même et vint tomber aux pieds de l'homme.
- « Tiens, tiens, fit celui-ci, en ramassant le bâton et en l'examinant d'un air bizarre, sans être trop curieux, d'où tenez-vous cet outil ? »
- « Ma foi », dit Mingam, « c'est un de mes confrères qui me l'a donné, voici pas mal de temps, et je ne peux pas dire qu'il m'ait fait, ce jour-là, un cadeau
avantageux. »
- « Ah ! Pourquoi donc ? »
- « Parce qu'il n'y a pas de mésaventures que ce maudit morceau de houx ne m'ait causées. »
Et il se mit à les conter.
Quand il eut fini, l'homme lui demanda
:
- « Sauf votre grâce, dites-moi, je vous prie, le nom du marchand qui avait le penn-baz en sa possession. »
- « Vous devez le connaître, car il habite dans vos parages : c'est Jacques Bourdoullouz, de Toull-an-Héry... Cela vous intéresse donc ? »
- « Beaucoup, et vous allez comprendre pourquoi... Mais, d'abord, vous n'êtes pas, je pense, sans vous souvenir que mon père fut trouvé mort, le crâne fracassé, dans la grève
de Saint-Efflam. »
- « Certes, la chose fit assez de bruit en son temps. Je
crois même, n'est-ce pas, qu'on a jamais pu découvrir l'assassin ? »
- « Pas plus que l'instrument qui avait servi à commettre le meurtre et qui, au dire du médecin-juré, ne pouvait avoir été qu'une masse de casseur de pierres ou un penn-baz. Or, le
penn-baz dont mon père ne se séparait jamais n'était pas auprès de son cadavre, l'assassin, son crime accompli, l'avait emporté ! Ce penn-baz était marqué de deux coches en croix sur la
poignée... Eh bien ! Regardez ! »
L'homme tendit à Désiré Mingam le bâton qu'il venait de ramasser : les deux coches en croix y étaient, usées, encrassées, mais visibles.
- « C'est donc cela, murmura Mingam. Je ne m'étonne plus à présent. Et qu'allez-vous faire ? »
- « Voulez-vous me confier l'outil ? »
- « Oh ! Prenez-le, gardez-le; moi, je ne veux plus le voir. »
D'affaires, il ne fut plus question, vous pensez bien.
Le cultivateur repartit au plus vite, se dirigeant vers Plestin où il y a des gendarmes.
Le soir même, Bourdoullouz, mis à l'improviste en présence de l'instrument accusateur, était contraint d'avouer son crime. Il est mort aux galères, Dieu l'ait en pitié !