Alpha du Centaure et son environnement
La journée passant identique à beaucoup d’autres et emportée par le rythme du travail j’oubliai peu à peu le collier qui reposait dans ma poche.
Je ne prêtais même presque plus attention au bouquet de roses qu’Anne avait pris soin de disposer avec soin dans un vase translucide.
A la nuit tombée je rentrais chez moi le pas nonchalant.
Ce n’est qu’une fois arrivée au pas de ma porte que je fis la connaissance de Juliette.
Elle m’attendait, adossée au mur de l’immeuble.
Ne me demandez pas, ni pourquoi, ni comment, car je ne saurais le dire moi-même, toujours est-il qu'il me semblait la connaître depuis toujours.
C’est même moi qui lui ai adressé la parole.
- « Bonjour ! » Lui avais-je lancé
- « Bonjour ZAZA ! Tu as bien reçu mon colis ? » Me répondit-elle comme si nous nous connaissions de longue date.
- « Oui ! Je n’ai cessé de les regarder de la journée, mad…, Euh…, mademoiselle ? »
- « Juliette ! » Ajouta-t-elle.
- « Juliette… évidemment suis-je bête ! »
- « Je suis fatiguée ZAZA, pourrions-nous poursuivre cette conversation chez toi ? » Me demanda-t-elle.
- « Bien sûr ! » Répondis-je simplement.
Je l’invitais à me suivre dans l’immeuble. L’ascenseur était une fois de plus en panne. Ce qui ne me dérangeait guère vu ma phobie de ces derniers.
Bizarrement nous n’avions pas prononcé un mot de plus durant les trois étages en gravissant l’escalier. De temps en temps je me retournais pour m’assurer qu’elle était toujours là et à chaque fois elle me répondait par un sourire rempli de mélancolie.
Juliette
avait les cheveux aussi rouges que ses fleurs et des yeux d’un noir si profond que nul n’aurait pu lire à travers. Sa peau était d’une blancheur à faire peur, cependant ce teint lui allait plutôt bien.
Elle ne devait guère avoir plus de vingt ans et je dois dire que je la trouvais très jolie. Je ne pouvais m’empêcher de penser que du haut de mes cinquante-cinq ans je devais plutôt lui faire penser à sa mère. Que le temps est cruel de passer si vite.
- « Le temps est parfois plus cruel que tu ne le crois ZAZA ! » Me dit Juliette franchissant la porte de mon appartement 2 pièces.
J’avais du prononcer ma dernière pensée à voix haute. Cela m’arrivait parfois de soliloquer. La marque de la solitude sans aucun doute. Je sentis le besoin de lui répondre.
- « Certaines personnes arrivent bien à vivre avec leur temps et supportent très bien les stigmates des années qui passent. Mais… »
- « Mais ? » Reformula Juliette.
- « Mais moi je ne suis pas de celles-là. Il y a des fois où j’aurais aimé être immortelle dans une même vie. Quand je dois quitter une vie, je renais sous une autre forme pour une nouvelle vie. Une fois je me suis même retrouvée en Bretagne sous la forme d'une chatte.... »
- « Je savais bien que tu étais le femme de la situation ZAZA ! »
- « La femme de la situation ? Quelle situation ? » La questionnai-je.
- « J’ai besoin de tes services ZAZA, de tes services de détective et de fine mouche. J’ai besoin de tes croyances en l’imaginaire et en l’impossible. » Me dit-elle la voix soudainement prise d’une violente gravité.
Tout naturellement la journaliste reprit le dessus sur le copinage.
- « Je t'écoute Juliette, raconte-moi tout ! »
- « Tout ! Hum… ! Je ne sais ! Es-tu prête à tout entendre ? Es-tu seulement disposée à me croire ? »
- « Crois-moi Juliette, il m’a déjà été donnée de rencontrer l’étrange et l’inexpliqué tellement de fois que plus rien ne peut guère me surprendre. Combien même me dirais-tu que tu viens de Mars que je serais tout disposé à le croire ! »
- « Pas de Mars ZAZA, de bien plus loin que ça encore ! Je viens d’une tout petite étoile qui se trouve dans la constellation d’Alpha du Centaure ! »
Aïe ! C’était bien ma veine ! Dans 99% des cas, les histoires qui commençaient ainsi finissaient à l’hôpital psychiatrique le plus proche.
Quel dommage, si jeune, si jolie, Juliette continua à parler.
- « Je sens bien que tu doutes déjà de la justesse de mes facultés mentales. M’autorises-tu à poursuivre mon histoire jusqu’au bout ? S’il te plait ! Laisse-moi au moins terminer mon histoire ! » Rajouta-t-elle la larme à l’œil.
- « Tu as raison Juliette. Je n’ai pas le droit de douter de toi sans vous avoir tout entendu. Allez-y ! Je t'écoute ! »
A ce moment-là je ne pouvais me douter de l’incroyable récit qu’il m’allait être donné d’entendre.
- « Alpha du Centaure est un système de trois étoiles très proches : Alpha centauri A et Alpha centauri B en sont les deux étoiles principales et forment une étoile double. Proxima centauri est une naine rouge beaucoup moins lumineuse. Des trois, elle est la plus proche du soleil. A l'œil nu, ce système apparaît comme une seule étoile. L'étoile la plus brillante de la constellation du centaure et la troisième plus brillante de tout le ciel. L'association entre ces trois étoiles n'est pas entièrement accidentelle car Proxima et le couple principal se déplacent ensemble parallèlement.»
- « Et et tu viens de là ? »
- « Oui, de Proxima ! »
- « Mais il faut des années lumières pour parcourir la distance nous séparant et tu es si…jeune ! » Lui dis-je.
- « Que m’importe ZAZA, je suis riche du temps »
- « Riche du temps ? Qu’entends-tu par-là exactement ! »
- « Chez moi la richesse se calcule en mesure du temps ! Plus vous en avez, moins vous vieillissez !
La consommation des unités de temps vous permet de rester jeune et éternel ! »
- « Jeune et éternel ! » Répétai-je avec intérêt.
Il faut dire que dans cette vie-là, j’avais consommé la moitié de mon temps de vie, avant de pouvoir renaître dans une autre vie. L’éternité, je la connaissais, mais pas de cette façon.
- « Oui ! A condition bien sûr de pouvoir disposer d’une grande réserve d’unités ou si tu préfères d’être riche… du temps ! »
- « Comment fais-tu pour voyager ? Tu as un… engin ? »
- « Pas vraiment, je n’en ai pas besoin. »
- « Pas besoin ? » Répétais-je encore une fois comme si je n’étais ce soir qu’un pauvre perroquet hébété.
- « Non, disons que je n’emporte rien vraiment, »
- « Rien ? »
- « Non, je n’en ai pas besoin, je suis légère au vent ! »
J’avais de plus en plus de mal à suivre ses propos. Juliette s’en était aperçue.
« Tu as du mal à suivre ZAZA, je comprends. Le mieux serait peut-être que je reprenne tout depuis le début, et ce début est une fin…
…Alpha du Centaure n’existe plus. Les trois étoiles se sont consumées en supernova il y a de cela plusieurs millénaires. Vous ne pouvez le savoir car une telle distance nous sépare que vous ne pouvez encore voir ce qui s’est déjà passé.
Les savants centauris, c’est ainsi qu’on nous appelle, avaient prévu l’inévitable et ont cherché pour finalement trouver le moyen d’éviter la catastrophe.
Je t’épargne les détails aussi techniques que complexes. Toujours est-il que ceux qui pouvaient consacrer suffisamment de temps à leur survie pouvait s’échapper via la queue d’une comète pour trouver refuge dans un autre endroit de l’univers. »
- « Et tu as fait partie de ceux-là ! »
- « Je te l’ai dit ZAZA, je suis riche du temps. J’ai usé une grande part de ma fortune dans cet échappatoire mais il me reste encore de quoi vivre pendant bien longtemps, enfin, j’espère. »
- « Mais maintenant que tu es là tout va bien, tu es sauvée ! »
- « Je le croyais ZAZA, je le croyais. Mais depuis quinze jours un mal me ronge. Je vis une mutation que je ne peux enrayer. Les mages d’Alpha du Centaure avaient prévu cette possibilité liée à une modification du métabolisme interne engendrée par un déplacement trop rapide dans l’espace et le temps. »
- « Une mutation ? » Repris-je.
- « Cela a d’abord commencé par ma couleur de cheveux. Je suis tantôt brune
et tantôt rouge.
Je ne peux contrôler ma couleur.
- « Ce changement influe-t-il sur ton comportement ? »
- « La nuit, oui ! Mais ce n’est pas tout ! Ce n’est pas le seul changement… physique. »
- « Oui… ! »
- « Il… »
Juliette s’était arrêtée de parler comme si la suite semblait inavouable ou inacceptable.
- « Je t’ai promis de t’écouter Juliette, je t’ai promis de faire l’effort de te croire. » Dis-je pour la rassurer.
- « Des ailes me poussent dans le dos !
Elles apparaissent le matin ou le soir, sans règle réelle, puis disparaissent comme elles sont venues. »
- « Des ailes ! » Dis-je bêtement, comme toujours ce maudit perroquet qui sommeille en moi.
- « Oui, des ailes, parfois blanches et parfois noires. »
- « Et là encore je suppose que suivant leur couleur tu n’es pas la même. »
Tout en parlant, je m’étais levée. J’avais allumé la lumière et tiré les doubles rideaux. La nuit était tombée en tissant son voile imperméable, lentement sans faire de bruit, sans prévenir. Elle nous enveloppait de son manteau inodore et incolore. Juliette devait vraiment être riche du temps pour que ce dernier passe si vite à ses côtés.
- « Puis-je dormir ici cette nuit ! » Me demanda-t-elle en me mettant dans l’embarras.
- « Euh… ! Je… ! »
- « S’il te plaît ZAZA ! Garde moi ! Protège-moi ! Ils sont après moi ! »
- « Ils ? Qui ça ils ? »
- « Les autres centauris, ils me pourchassent. Ils veulent me détruire. »
- « Mais… ? Pourquoi ? »
- « Parce que je mute. Ils ne veulent pas que je change. S’il te plait ZAZA, garde moi auprès de toi ! Juste une nuit ! Juste ce soir ! »
Juliette roula des yeux et je n’avais jamais su résister à ce regard de pitié. Le savait-elle ? Je ne pense pas. Toujours est-il qu’elle dormit chez moi cette nuit-là.
La nuit passa aussi vite que la soirée.
Fin de la troisième partie