La nuit était tombé lentement sur Paris comme à son habitude.
Elle avait glissé doucement sur la peau du jour comme un voile sur les épaules d’une jolie fille, apportant avec elle son cortège de pénombre et d’obscurité.
Michel marchait le long du trottoir
sans se soucier de l’air du soir. Il marchait, tout doucement, en posant un pied devant l’autre comme on le fait machinalement.
Son corps était là, dans cette rue, mais son esprit, lui, n’était pas très présent. Il pensait à Anne.
Michel ne pouvait pas détacher son esprit de la douce image d’Anne qu’il avait épinglé au fond de sa mémoire, il y a de cela quelque temps.
Son cœur tapait à se rompre, au rythme des clignements d’yeux de la belle. Il aurait tant voulu lui dire, tant voulu lui parler, tant voulu lui chanter, tant voulu lui conter.
Mais Michel ne pouvait pas. Il n’avait jamais pu.
Depuis sa plus tendre enfance, il n’avait jamais réussi à faire sortir le moindre son de sa bouche. Les médecins avaient diagnostiqué une malformation des cordes vocales qui l’empêchait de parler.
Jusqu’à présent Michel s’en était accommodé. Il avait supporté et fini par accepter son infirmité. Mais aujourd’hui il ne pouvait plus. Aujourd’hui, il avait besoin de parler. Il voulait…, il voulait crier à Anne tout l’amour qu’il ressentait pour elle.
Soudain, dans la noirceur d’une ruelle mal éclairée, il buta sur quelque chose. Il pencha la tête et dirigea les yeux vers ce qui juchait le sol, vers ce qui avait faillit le faire chuter.
C’était le corps d’un homme, allongé, en marge du trottoir,
l’infortuné ne bougeait plus. Michel s’accroupit et secoua l’inconnu. L’homme ouvrit les yeux.
Des yeux verts d’une pureté inimaginable. Dans ses yeux, Michel aurait pu lire toute la beauté du monde, toute la tendresse d’une mère, toute la richesse d’une âme.
Deux yeux, d’une lueur si reposante que Michel en distinguait à peine la barbe et les cheveux roux de son inconnu.
Mais malgré ce regard qui semblait pouvoir déplacer les montagnes cet homme ne pouvait pas se relever. Il avait les jambes tendues, figées, comme prises dans du ciment. Ses bras lui collaient le long du corps et ses mains semblaient agrafées pour l’éternité dans le fond des poches de son pantalon.
Michel eu toutes les peines du monde à le relever. Cependant il ne pouvait pas lâcher cet inconnu car il ne sentait aucune résistance, s’il ne le tenait plus c’est sûr il retomberait. Les secondes passaient, quelques minutes défilèrent, sans un bruit, sans un mot.
Michel commençait à faiblir, il n’était pas très musclé et la masse imposante de cet homme était de plus en plus dure à supporter.
Au moment où il semblait qu’il allait défaillir et devoir lâcher le malheureux, celui-ci, comme par enchantement, s’éleva dans le ciel, à un mètre au-dessus de lui.
Deux ailes venaient de se déployer dans le dos de l’inconnu.
Un ange ! C’est un ange ! Se dit Michel bouche bée.
L’ange resta un instant suspendu au-dessus de Michel. Le regard brillant, la barbe et les cheveux flamboyants,
les ailes ondulant doucement avec grâce et légèreté. Puis il s’éloigna lentement en prononçant un mot, un seul mot.
- « Merci ! » Dit-il à Michel.
Et comme il s’éloignait dans le brouillard de la nuit qui se pose, une voix humide lui répondit le plus naturellement du monde.
- « Il n’y a pas de quoi »
Michel avait enfin trouvé la parole et allait pouvoir déclamer la flamme à Anne.