Première partie
Les cloches de l’église résonnaient dans tout le village invitant chacun des habitants du petit bourg de Pluneret à venir se rendre à l’office du dimanche.
Certes l’église n’est pas assez grande pour accueillir les mille cinq cent âmes que compte la paroisse, cependant dans cette belle matinée du mois de mai 1982, le seigneur aurait encore pu accueillir dix fois plus de monde dans sa maison.
Dans l’assistance clairsemée, hormis les enfants de l’école primaire Saint Joseph,
je sais que je pouvais compter sur les doigts des deux mains le nombre de paroissiens de moins de soixante ans, je l’ai toujours su, même quand l’évêque m’a proposé de venir m’occuper de cette paroisse deux ans plus tôt, peu de temps après le décès de mes parents dans un accident de voiture.
Il pensait que pour un jeune prêtre, placé par notre père devant une telle situation, il valait mieux changer totalement de vie et repartir de zéro en parfaite communion avec Dieu.
Monseigneur Centène, l’évêque de Vannes, avait toujours eu beaucoup d’affection pour moi, il m’avait toujours guidé bien plus que pour un fils spirituel, il m'avait ordonné.
Il me conseillait comme si j’avais été le fils qu’il ne pouvait pas avoir.
Il savait surtout que je m’ennuyais à Vannes, car bien qu’étant originaire d’une famille plutôt aisée j’avais eu le bon goût de rester simple, préférant de loin l’ambiance d’un petit village à l’indifférence de la ville.
Il savait aussi qu’en me plaçant à moins de cinq kilomètres du petit séminaire de Sainte Anne d’Auray,
il y aurait toujours près de moi des hommes d’église prêts à me soutenir en cas de besoin.
Les cloches avaient fini de tinter, je fis mon entrée m’agenouillant devant l’autel entouré de façon équitable de quatre enfants de cœur vêtus de blanc.
En me retournant, je levai les yeux pour regarder vers l’assistance, il n’y avait vraiment pas beaucoup de fidèles, mais je commençais à en avoir l’habitude.
Les gens du village étaient peu croyants et quand ils avaient besoin de brûler un cierge pour obtenir la réussite d’un de leurs enfants au baccalauréat ou au B.E.P.C, ils préféraient aller directement à la Basilique tout proche,
qui eu égard à sa grande taille se trouvait forcément plus prêt du bon Dieu.
A la fin de la cérémonie, j’eus la surprise de trouver Jean-Jacques Merour dans la sacristie. Jean-Jacques était le maire du village.
Jean-Jacques n’affichait pas vraiment de couleur politique, il était tantôt de gauche, tantôt de droite suivant ses humeurs et le sens de la marée, mais c’était quelqu’un de sympathique et d’honnête sur qui l’on pouvait compter, il méritait bien la confiance que ses administrés avaient placée en lui.
- « Bonjour monsieur le curé. »
- « Bonjour Jean-Jacques, combien de fois t’ai-je dit de m’appeler Mathieu et non pas monsieur le curé ? »
- « Excusez-moi, mon père, mais je ne peux pas, pour moi vous êtes monsieur le curé. »
- « Cela fait bien longtemps que je ne t’avais pas vu dans mon église, la dernière fois il me semble que c’était au mois de février pour les obsèques de notre pauvre Fanch. »
- « Que voulez-vous mon père je ne suis pas une grenouille de bénitier, c’est ainsi et tous vos sermons n’arriveront pas à me convertir. »
- « Dieu seul le sait, Jean-Jacques, Dieu seul le sait, il ne faut jamais dire fontaine je ne boirai pas de ton eau. »
- « Je vous assure monsieur le curé, avec moi, aucun risque. »
- « Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de ta visite alors ? »
- « Vous l’avez dit, monsieur le curé, quand je viens ici c’est rarement pour des moments agréables. »
- « Il est arrivé quelque chose ? »
- « Le maire de Locmariaquer vient de téléphoner. Il s'agit de votre grand-mère, je suis désolé monsieur le curé, elle est décédée. »
Grand-mère Marie-Louise venait de disparaître, j’avais beau essayer de me contrôler afin de ne rien laisser paraître devant Jean-Jacques, je n’ai pas pu me retenir, l’émotion était trop forte, une fine larme s’échappa de mes yeux rougis et humides et coula lentement le long de ma joue.
Je regrettais en cet instant de n’avoir pas su assez souvent prendre le temps d’aller lui rendre visite.
Grand-mère Marie-Louise était la dernière personne proche qu’il me restait dans la famille, c’était une vieille femme
qui n’avait jamais dû travailler de sa vie, elle était veuve depuis un peu moins de 27 ans et je n’avais jamais vu Erwan, son mari, mon grand-père.
Malgré son apparence, Marie-Louise avait toujours été une femme forte, un roc, que le temps et les éléments semblaient ne pouvoir ébranler, cependant au décès de son fils unique, il y a deux ans, elle avait accusé le coup.
Sa mort ne fut donc pas une surprise pour moi, je savais que c’était la seule chose qu’elle attendait de la vie dorénavant, mais vous avez beau vous y attendre, la perte d’un être cher n’est jamais un moment facile à vivre.
L’église de Locmariaquer
n’était guère plus grande que mon église de Pluneret.
Le père Alain ne devait pas avoir une assistance plus fournit que la mienne d’ordinaire, mais aujourd’hui le lieu saint était noir de monde, il y avait des gens sur le parvis jusqu’au bord de la route.
Marie-Louise avait toujours été très appréciée et puis, personne n’avait oublié que mon grand-père avait été le maire du village de 1946 à 1954.
C’était quelqu’un dans la région, le grand-père Erwan, enfin, jusqu’au 26 novembre 1954, sa vie bascula en un instant.
Mon père me racontait les parties de pêche de mon grand-père et d’autres paysans.
Ils allaient à la pêche aux aiguillettes
à l'embouchure du Golfe munis de foënes.
Ils partaient à trois, vers quatre heures de l'après-midi et revenaient le lendemain matin vers six heures. Ils avaient comme embarcation une plate de douze pieds, tirée par quatre avirons.
La plate était éclairée pour la pêche au feu, par des torsades de paille qui étaient enflammées à tour de rôle au fur et à mesure de leur combustion.
Celles-ci étaient confectionnées en tirant et en continuant à tourner, une poignée de paille prélevée dans un pailler en vrac, comme cela se faisait à l'époque.
Ces torsades de quatre à cinq mètres étaient disposées dans le fond et à l'avant de l'embarcation. Au moment de la pêche elles étaient tenues à bout de bras enflammées par celui qui avait en charge l'éclairage.
Les deux autres se tenaient l'un à bâbord, l'autre à tribord, en retrait de l'éclairage avec leurs foënes de vingt deux à vingt quatre dents, munies d'un long manche de quatre à cinq mètres,
pour pouvoir atteindre les aiguillettes en profondeur mais aussi à un bonne distance de la plate lorsqu'elles étaient craintives.
Cette foëne devait pouvoir flotter avec deux poissons au bout, car son manche en sapin de croix, très léger, lui laissait encore environ un mètre cinquante visible hors de l'eau, lorsqu'elle n'était plus tenue par le pêcheur
Un jour mon grand-père voulu y aller avec l'un de ses amis se chargeant de l'éclairage. Il eut lors de cette sortie en mer un terrible accident.
On avait dû l’amputer des deux membres inférieurs, condamné à l’immobilité il préféra vivre en reclus, face au golfe du Morbihan dans sa maison du bord de mer.
Je ne l’avais jamais connu, mais sans doute n’aurait-il pas voulu que je le vois dans cet état.
A demain pour la suite