Kerlouan
Les nuits de pleine lune, les marins de Kerlouan (Finistère) ont du mal à trouver le sommeil.
Certains se lèvent et vont sur la dune surveiller leur bateau.
Car tous craignent un nouveau méfait du «Renard», cet inconnu qui, depuis seize ans, pille, brûle, coule les embarcations dans cette commune de 2 500 habitants.
Une cinquantaine de plaintes ont été déposées à la gendarmerie de Lesneven, le gros bourg des environs.
Sans résultat
«Chaque fois, on se sent encore plus impuissant, explique, excédé, Jean Premel, président de l'Association des pêcheurs plaisanciers du pays Pagan (APPPP). Ça finira mal. Une nuit, un pauvre gars ira pêcher la crevette trop près des bateaux et prendra un coup de fusil par erreur...»
L'APPPP a été créée à la fin de 1999, «juste après le cinquantième acte de malveillance».
Elle compte 153 adhérents aujourd'hui.
Une majorité d' «anciens», retraités de la marine marchande ou de la Royale, qui vont tous les jours en mer taquiner le bar ou l'araignée, sur leur canot.
Et quelques touristes, familiers des lieux, qui veulent déguster un homard «maison».
Au cœur de la côte des Légendes, Kerlouan offre l'un des plus saisissants paysages maritimes de Bretagne: 14 kilomètres de côtes sur la Manche, une guirlande de petites criques de sable blanc entrecoupées de masses rocheuses fantasmagoriques.
Ici, le moindre îlot renvoie à une histoire mythique.
Kerlouan est aussi la capitale du pays Pagan.
Ce terme, issu du mot latin paganus, signifie «paysan».
Pauvres, isolés, méprisés et craints, les Pagans vivaient chichement de ce qu'ils pouvaient tirer de la terre et de la mer. Des épaves, par exemple.
On raconte que les habitants accrochaient des lanternes aux cornes de leurs vaches pour attirer les navires sur les récifs, où ils s'échouaient.
Tradition vivace, semble- t-il...!!!
«Le 26 juin, à 4 h 30 du matin, au moment de partir en mer, j'ai découvert mon bateau, coulé, raconte Gildas Larsonneur, 38 ans, l'unique marin pêcheur professionnel encore en activité à Kerlouan. Pendant trois semaines, je n'ai pas pu pêcher.»
Le Renard agit les nuits de pleine lune, quand l'amplitude des marées est forte: alors, la mer se retire loin et les bateaux sont au sec.
Il suffit de se cacher derrière les coques, côté mer, pour faire son mauvais coup.
Cette nuit-là, un autre chalutier a été coulé, à coups de chignole et de pioche, dans le petit port de Meneham, l'un des huit mouillages naturels de la commune.
«Le Zodiac de la SNSM [Société nationale de sauvetage en mer] éventré, le bâtiment du club de plongée incendié, les bateaux détachés, remorqués au large et précipités sur les récifs.C'est grave, insiste Marcel Ramonet, trésorier de l'APPPP. Celui qui fait ça pense que la mer lui appartient.»
L'origine de cette affaire?
Peut-être une histoire de rivalité sur les ormeaux - ces coquillages exquis et hors de prix dont la pêche, strictement réglementée, n'empêche pas le braconnage traditionnel.
Peut-être de vieilles querelles familiales.
Des menaces de mort
A Kerlouan, l'ambiance devient délétère.
«Le Renard, tout le monde sait qui c'est, assure un pêcheur. Il n'y a qu'un terrier, et ça fait quarante ans que ça dure. J'ai déposé quatre plaintes. J'aurais pu en déposer 10 ou 15. Mais pas vu, pas pris!»
Certains se servent probablement de l'ombre du Renard pour régler leurs comptes, mais un homme, parmi d'autres, suscite beaucoup de rancœurs.
Un documentaire régional l'a baptisé l'an dernier « Le Dernier des Pagans ».
Il cultive le look de ses ancêtres: cheveux longs et rouflaquettes, pull élimé et chaussettes de laine épaisse cousues l'une sur l'autre dans ses bottes de pêche.
«Je suis une légende vivante», souffle Job Salou, 67 ans. Lui-même victime du Renard à deux reprises, n'en dira pas plus «parce qu'il y a une enquête».
La tension continue de monter
Le 24 septembre, Job Salou a été condamné à un mois de prison avec sursis pour port d'armes prohibées.
Le 2 juillet dernier, une dizaine de propriétaires de bateaux ont reçu des menaces de mort.
Les lettres ont été transmises par la gendarmerie au centre de police scientifique de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
L'ADN de ce corbeau révélera-t-il enfin l'identité du Renard?
Par L'Express, publié le 10/10/2002
A DEMAIN POUR LA FIN DE CE FAIT DIVERS