Kement-man oa d’ann amzer
Ma ho devoa dennt ar ier.
Ceci se passait du temps
Où les poules avaient des dents
Sa femme fut heureuse du cadeau que lui faisait son mari, car ils n’avaient
pas d’enfants, quoique mariés depuis longtemps. Charles fut dès lors élevé et instruit comme s’il eût été le propre fils du marchand.
On le baptisa de nouveau, dans la crainte qu’il ne l’eût pas été déjà, et le hasard voulut qu’on lui donnât encore le nom de Charles.
On lui donna des maîtres de toute sorte, et il appelait le marchand et sa femme son père et sa mère, car on le laissa dans une ignorance complète de ses premières années.
Cependant le roi, plusieurs années plus tard, fit un voyage à Bordeaux. Quand il vit Charles, il admira sa bonne mine et demanda au marchand s’il était son enfant.
Le marchand lui raconta comment, l’ayant trouvé en pleine mer, dans un berceau de verre, il l’avait recueilli et adopté comme son propre enfant.
Alors le roi vit clairement que c’était l’enfant de son jardinier, celui-là même dont il avait voulu se débarrasser, et demanda au marchand de le lui céder, pour qu’il en fît plus tard son
secrétaire. Le marchand céda l’enfant à son roi, mais à regret.
Le roi, qui ne devait pas retourner immédiatement à Paris, envoya Charles devant et lui donna une lettre pour la reine, dans laquelle il ordonnait à celle-ci de faire mettre à mort le porteur,
dès qu’il arriverait.
Il ajoutait qu’il reviendrait aussi, sans retard, mais qu’il fallait que son ordre fût mis à exécution, avant son arrivée.
Charles part avec la lettre, ne se doutant pas qu’elle contenait son arrêt de mort. Il loge dans un village, au bord de la route, et y mange avec trois inconnus, des maltôtiers.
Après souper, on joue aux cartes. Charles perd tout son argent et même sa montre. On se couche. Les trois maltôtiers étaient dans la même chambre, et Charles était dans un cabinet, à côté.
Il n’y avait qu’une cloison de planches à les séparer, et il entendait leur conversation :
— « Le pauvre garçon ! dit l’un d’eux, il a perdu tout son argent ; comment pourra-t-il payer son écot et retourner jusque chez lui ? J’ai pitié de lui ; si nous lui rendions son argent
? »
— « Oui, répondirent les deux autres ; rendons-lui son argent. »
Et un des trois alla dans sa chambre pour lui remettre son argent. Il dormait profondément, car il était très fatigué de sa marche.
Sur sa table de nuit, le maltôtier aperçut une lettre cachetée ; c’était celle que le roi lui avait donnée pour être remise à la reine. Poussé par la curiosité, il rompit le cachet, lut la lettre
et fut bien étonné de ce qu’elle contenait.
— « Le pauvre garçon ! » pensa-t-il, « il porte lui-même l’ordre de le faire mettre à mort, et il ne le sait pas ! »
Il montra la lettre à ses deux camarades, et ils lui substituèrent une autre lettre, qui recommandait à la reine de bien accueillir et bien traiter le porteur.
Le lendemain matin, quand Charles se leva, les maltôtiers étaient déjà partis. Il retrouva dans ses poches son argent et sa montre, et sa lettre était aussi sur sa table de nuit, où il l’avait
posée.
Il paya son hôte et se remit en route, sans que rien lui eût fait soupçonner une substitution de lettre. Il marche, il marche, et finit par arriver à Paris.
A DEMAIN POUR LA SUITE