Rèd ê ma ouefac’h
Penaoz eur veach.
Il faut que vous sachiez
Comment une fois.
Chapitre II
Quelque temps après le retour de Marguerite chez son père, quand on connut qu’elle était
veuve, de nouveaux prétendants à sa main se présentèrent de tous côtés, de riches marchands et de nobles seigneurs.
Mais, elle n’avait pas oublié la manière dont l’avait traitée le cruel Frimelgus, et elle répondait invariablement à tous qu’elle avait fût serment de ne jamais se remarier à homme qui vécût.
C’était leur dire clairement qu’elle ne voulait pas se remarier.
Un jour, pourtant, vint un seigneur magnifiquement vêtu, monté sur un cheval superbe, et
que personne ne connaissait, dans le pays.
Il demanda à parler à Marguerite.
Celle-ci le reçut poliment et lui dit, comme aux autres, qu’elle avait fait serment de ne jamais se remarier à homme qui vécût.
— Je ne suis pas un homme vivant, lui répondit l’inconnu.
— Comment, vous n’êtes pas un homme vivant; mais, qui êtes-vous donc, alors
?
— Un mort, et vous pouvez m’épouser, sans manquer à votre
serment.
— Serait-il possible ?
— Croyez-m’en, rien n’est plus vrai.
— Hé bien ! s’il en est ainsi, je ne dis pas non.
Elle brûlait d’envie de se remarier, il faut le croire.
Bref, ils furent fiancés et mariés promptement, et il y eut un grand festin de
noces.
En se levant de table, le nouveau marié se rendit dans la cour avec sa femme, et, montant
sur son cheval, il la prit en croupe et partit aussitôt, au galop, sans dire à personne où il allait.
Tout le monde en fut étonné.
Un des frères de Marguerite, voyant cela, monta aussi sur son cheval, et voulut les suivre.
Mais, quelque bon cavalier qu’il fût, il ne put les atteindre.
Il jura néanmoins qu’il ne retournerait pas à la maison, avant d’avoir su où était allée sa sœur.
Le cheval qui emportait Marguerite et son nouveau mari voyageait à travers les airs, et il
les porta dans un château magnifique.
Rien ne manquait dans ce château de ce qui peut plaire à une jeune femme, ni riches tissus de soie et d’or, ni diamants et perles, ni beaux jardins remplis de fleurs aux suaves parfums et de fruits délicieux.
Et pourtant, elle ne s’y trouvait pas heureuse, et elle s’ennuyait.
Pourquoi donc s’ennuyait-elle ? Parce qu’elle était toujours seule, tout le long des jours.
Son mari partait, tous les matins, de bonne heure, et ne rentrait qu’au coucher du soleil.
Elle l’avait souvent prié de l’emmener avec lui, dans ses voyages, et toujours il avait
refusé.
Un jour qu’elle se promenait dans le bois qui entourait le château, elle fut bien étonnée
de voir un jeune cavalier qui venait par la grande avenue, car depuis qu’elle était là, aucun étranger n’était encore venu lui faire visite.
Son étonnement augmenta encore, lorsqu’elle reconnut que ce cavalier était son plus jeune frère.
Elle courut à lui et l’embrassa et lui témoigna une grande joie de le revoir.
Puis, elle le conduisit au château et lui servit elle-même à manger et à boire, car il était épuisé et fatigué d’un si long voyage.
— Où est aussi mon beau-frère, sœur chérie ? demanda-t-il, au bout de quelque
temps.
— Il n’est pas à la maison, pour le moment, mais, il arrivera ce soir, au coucher du
soleil.
— Tu me parais être plus heureuse ici avec lui que tu ne l’étais avec Frimelgus
?
— Oui vraiment, mon frère, je suis assez heureuse ici, et pourtant, je m’y ennuie
beaucoup.
— Comment peut-on s’ennuyer, dans un si beau château ?
— C’est que je suis seule, tout le long des jours, frère chéri. Mon mari n’est jamais avec
moi, que la nuit, et il part tous les matins, aussitôt que le soleil se lève.
— Où donc va-t-il ainsi, tous les matins ?
— Au paradis, dit-il.
— Au paradis ? Mais pourquoi ne t’emmène-t-il pas avec lui, alors
?
— Je l’ai souvent prié de m’emmener avec lui, mais il ne le veut
pas.
— Hé bien ! Je lui demanderai aussi, moi, de me permettre de l’accompagner, car je
voudrais bien voir le paradis.
Tôt après, le maître du château arriva.
Sa femme lui présenta son frère, et il témoigna de la joie de le revoir.
Puis, il mangea, car il avait grand’faim.
Le frère de Marguerite lui demanda alors :
— Dites, beau-frère, où allez-vous donc ainsi, tous les matins, de si bonne heure,
laissant votre femme toute seule à la maison, où elle s’ennuie beaucoup ?
— Je vais au paradis, beau-frère.
— Je voudrais bien aussi, moi, voir le paradis, et si vous consentiez à m’emmener avec
vous, une fois seulement, vous me feriez grand plaisir.
— Hé bien ! Demain matin, vous pourrez venir avec moi, beau-frère. Mais, à la condition
que vous ne m’adresserez aucune question, ni ne direz même pas un seul mot, pendant le voyage, quoi que vous puissiez voir ou entendre, autrement, je vous abandonnerai aussitôt en
route.
— C’est convenu, beau-frère, je ne dirai pas un mot.
Le lendemain matin, le maître du château était sur pied de bonne heure. Il alla frapper â
la porte de son beau-frère, en disant :
— Allons, beau-frère, debout, vite, il est temps de partir !
Et quand il se fut levé et qu’il fut prêt, il lui dit encore :
— Prends les basques de mon habit et tiens bon !
Le frère de Marguerite prit à deux mains les basques de l’habit de son beau-frère, et
celui-ci s’éleva, alors, en l’air et l’emporta par-dessus le grand bois qui entourait le château, avec une telle rapidité, que l’hirondelle ne pouvait les suivre.
Ils passèrent par-dessus une grande prairie, où il y avait beaucoup de bœufs et de vaches, et, bien que l’herbe fût abondante autour d’eux, bœufs et vaches étaient maigres et décharnés, au point de n’avoir guère que les os et la peau.
Cela étonna fort le frère de Marguerite, et il allait en demander la raison à son compagnon de voyage, lorsqu’il se rappela à temps qu’il avait promis de ne lui adresser aucune question, et il garda le silence.
Ils continuèrent leur route et passèrent, plus loin, au-dessus d’une grande plaine aride
et toute couverte de sable et de pierres ; et pourtant, sur ce sable étaient couchés des bœufs et des vaches si gras, et qui paraissaient si heureux, que c’était plaisir de les
voir.
Le frère de Marguerite ne souffla mot encore, bien que cela lui parût bien étrange.
Plus loin encore, il vit un troupeau de corbeaux qui se battaient avec tant d’acharnement
et de fureur, qu’il en tombait sur la terre comme une pluie de sang.
Il continua de garder le silence.
Ils descendirent, alors, dans un lieu d’où partaient trois routes.
Une d’elles était belle, unie avec de belles fleurs parfumées, des deux côtés.
Une autre était belle et unie aussi, mais moins que la première, pourtant.
Enfin, la troisième était d’un accès difficile, montante et encombrée de ronces, d’épines, d’orties et de toutes sortes de reptiles hideux et venimeux.
Ce fut cette dernière route que prit le mari de Marguerite. Son beau-frère, s’oubliant,
lui dit, alors :
— Pourquoi prendre cette vilaine route, puisqu’en voilà deux autres qui sont si belles
!
A peine eut-il prononcé ces mots, que l’autre l’abandonna, dans ce mauvais chemin, en lui
disant :
— Reste là à m’attendre, jusqu’à ce que je m’en retourne, ce soir.
Et il continua sa route.
Au coucher du soleil, quand il repassa par là, il reprit son beau-frère, tout rompu et
tout sanglant, et ils retournèrent ensemble au château.
Le frère de Marguerite remarqua, chemin faisant, que les corbeaux se battaient toujours,
que les bœufs et les vaches étaient aussi maigres et décharnés que devant, dans l’herbe grasse et haute, aussi gras et luisants, dans la plaine aride et sablonneuse, et, comme il pouvait parler,
à présent, il demanda l’explication des choses extraordinaires qu’il avait vues, durant le voyage.
— Les bœufs et les vaches maigres et décharnés, au milieu de l’herbe abondante et grasse,
lui répondit son beau-frère, sont les riches de la terre, qui, avec tous leurs biens, sont encore pauvres et malheureux, parce qu’ils ne sont jamais contents de ce qu’ils ont et désirent toujours
en avoir davantage. Les bœufs et les vaches gras et heureux, sur le sable aride et brûlé, sont les pauvres contents de la position que Dieu leur a faite, et qui ne se plaignent
pas.
— Et les corbeaux qui se battent avec acharnement ?
— Ce sont les époux qui ne peuvent pas s’entendre et vivre en paix, sur la terre, et qui
sont toujours à se quereller et à se battre.
— Dites-moi encore, beau-frère, pourquoi vous avez pris le chemin montant et rempli de
ronces, d’épines et de reptiles hideux et venimeux, quand il y a là, à côté, deux autres chemins qui sont si beaux et si unis, et où il doit être si agréable de marcher
?
— Ces deux chemins là sont, le plus beau et le plus large, le chemin de l’enfer, et
l’autre, le chemin du purgatoire. Celui que j’ai suivi est difficile, étroit, montant et parsemé d’obstacles de toute sorte ; mais, c’est le chemin du paradis.
— Pourquoi donc, beau-frère, puisque vous pouvez aller tous les jours au paradis, n’y
restez-vous pas, et n’y emmenez-vous pas ma sœur avec vous ?
— Après ma mort, Dieu me donna pour pénitence de revenir tous les jours sur la terre,
jusqu’à ce que j’eusse trouvé une femme pour m’épouser, quoique mort…
(Le conte ne paraît pas tout à fait terminé, mais mon conteur n’en savait pas davantage)
Conté par Droniou, meunier, de Plouaret, 1870.