Une légende qui circule
dans ma campagne bretonne
Les chasseurs n'avaient pas de chevaux pour le poursuivre et leurs chiens n'étaient guère enclins à prendre la piste d'un animal qu'ils redoutaient par-dessus tout.
Il y avait ainsi plusieurs battues au cours de l'hiver.
Un de ces loups avait l'habitude de venir au village.
Il choisissait les nuits de pleine lune et s'installait sur la margelle d'un puits situé, comme par hasard, à quelques dizaines de pas du lieu de rendez-vous de la battue.
Il s'étirait longuement, ouvrait grande sa gueule en tirant la langue et s'asseyait sur son arrière-train. Il regardait la lune et se mettait à hurler : un cri plaintif, qui prenait de plus en plus d'ampleur et durait dans le temps.
La scène se répétait à plusieurs reprises et le loup s'en allait.
Une bête magnifique, avec une tache blanche sur la tête. C'est ainsi que le décrivait le paysan courageux qui s'était levé pour le voir et l'entendre hurler. Il devait bien peser 100 livres. Venait-il narguer les habitants du village ?
Beaucoup le pensaient.
Ils se réunissaient alors et organisaient une battue pour le lendemain, mais ils ne trouvaient jamais le loup.
Bien plus tard, une nuit d'hiver, le paysan qui l'avait aperçu la première fois et l'avait revu les années suivantes, s'était encore levé.
Assis sur la margelle du puits, tout son corps tendu, le loup hurlait à la lune.
Mais sa plainte était très douce. La bête n'avait plus son bel aspect d'autrefois. Elle était efflanquée. Son pelage avait perdu sa couleur fauve.
Le loup était devenu vieux.
Plus le paysan le regardait, plus il lui trouvait un air mystérieux.
Sa tête semblait comme entourée d'un grand cercle de lumière, et il avait du mal à distinguer s'il s'agissait d'une auréole ou du halo de la lune.
De temps à autre, cette tête tournait à droite ou à gauche, doucement, tout doucement. On aurait dit que les yeux du loup cherchaient à rencontrer le regard d'un homme, comme s'il avait un message à lui transmettre.
La plainte du loup se fit entendre plus longtemps que les autres fois.
Puis l'animal sauta en bas de la margelle et disparut en direction des landes de Mâlon, presque à regret.
Le lendemain soir les paysans se réunirent, comme à l'accoutumée, pour décider de la battue.
Celui qui avait observé le loup expliqua sa vision de la nuit précédente et tenta de convaincre les autres de ne pas l'organiser.
Cependant, devant leur insistance, il dut s'incliner.
La chasse eut lieu, mais elle fut de courte durée.
Près du bois de Baharon, au bord d'une haïe, un groupe de chasseurs trouva le vieux loup étendu sur l'herbe.
Il était mort.
De faim ? De froid ? De vieillesse ?
Personne ne put le dire. Mais tous rentrèrent chez eux, presque sans mot dire, en pensant à la vision de leur ami.
Ce loup n'était certes pas un saint, mais jamais il ne leur avait pris de bêtes.
Etait-ce le message qu'il voulait leur transmettre ?
Il voulait surtout leur dire qu'il était le dernier loup du Pays.
C'est ce que les paysans ont compris par la suite, car depuis ce jour aucun loup n'a été vu à Mâlon et aucune battue n'a eu lieu.
Le gîte qui abritait leurs réunions en garde le souvenir.
Elle a pour nom : la marche au loup.
C'est là que se rassemblaient les hommes qui préparaient la chasse au loup et y participaient.