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L’homme-Crapaud (fin)

Un nouveau conte de Basse Bretagne

 

Baz’ a zo brema pell-amzer,


D’ar c’houlz m’ho defoa dennt ar ier

 

Il y a de cela bien longtemps

 

 

Quand les poules avaient des dents

 

281363




— « Hélas ! » s’écriait alors la pauvre femme, en pleurant, j’aurai donc perdu toute ma peine? Après avoir tant souffert ! Je t’avais cependant épousé, quand tu étais crapaud, et que personne ne voulait de toi !

 

Et pendant deux longues années, par la chaleur, par le froid le plus cruel, sous la pluie, la neige, au milieu de la tempête, je t’ai cherché partout, sans perdre courage ; et maintenant, que je t’ai retrouvé, tu ne m’écoutes pas, tu dors comme un rocher ! Ah ! suis-je assez malheureuse ! »


Et elle pleurait et sanglotait ; mais, hélas! il ne l’entendait pas.


Le lendemain matin, elle se rendit encore dans le bois, avec ses brebis, triste et pensive.


Dans l’après-midi, la princesse vint, comme la veille, se promener avec sa suivante.


La bergère, en la voyant venir, se mit à jouer avec les deux boules d’or qui lui restaient. La princesse désira avoir une seconde boule, pour faire la paire, et elle dit encore à sa suivante :
— « Va m’acheter une seconde boule d’or de la bergère. »


La suivante obéit, et, pour abréger, le marché fut conclu au même prix que la veille : passer une seconde nuit avec le maître du château, dans sa chambre.


Le maître, à qui la princesse versa encore un narcotique dans son vin, pendant le souper, alla, comme la veille, se coucher, au sortir de table, et dormit comme une roche.


Quelque temps après, la bergère fut de nouveau introduite dans sa chambre, et elle recommença ses plaintes et ses sanglots.


Un valet, passant par hasard près de la porte, entendit du bruit et s’arrêta pour écouter. Il fut bien étonné de tout ce qu’il entendit, et, le lendemain matin, il se rendit auprès de son maître et lui dit :

 
— « Mon maître, il se passe dans ce château des choses que vous ignorez et qu’il vous importe de connaître. »
— « Quoi donc ? Parlez, vite. »
— « Une pauvre femme, ! paraissant bien malheureuse et bien affligée, est arrivée au château depuis quelques jours, et par pitié, on l’a gardée pour remplacer la bergère, qui venait de partir.

 

Un jour, la princesse, en se promenant dans le bois, avec sa suivante, la vit qui jouait aux boules avec des boules d’or. Elle désira aussitôt avoir ces boules, et envoya sa suivante pour les acheter de la bergère, à quelque prix que ce fût.

 

La bergère ne demanda ni d’or,  ni argent, mais passer une nuit avec vous dans votre chambre à coucher, pour chacune de ses boules. Elle a déjà donné deux boules, et elle a passé deux nuits avec vous, dans votre chambre à coucher, sans que vous en ayez rien su. C’est une pitié d’entendre ses sanglots et ses plaintes.

 

Je croirais assez qu’elle a l’esprit égaré, car elle dit des choses fort étranges, comme, par exemple, qu’elle a été votre femme, quand vous étiez crapaud, et qu’elle a marché, pendant deux années entières, à votre recherche… »
— « Est-il possible que tout cela soit vrai ! »
— « Oui, mon maître, tout cela est vrai ; et si vous n’en savez rien encore, c’est que, pendant le repas du soir, la princesse vous verse un narcotique dans votre vin, si bien qu’en vous levant de table, il faut vous mettre au lit, et que vous dormez profondément, jusqu’au lendemain. »
— « Holà ! il faut que je me tienne sur mes gardes, et bientôt vous verrez du nouveau ici. »


La pauvre bergère était mal vue et détestée des domestiques du château, qui savaient qu’elle passait ses nuits dans la chambre du maître, et la cuisinière ne lui donnait plus que du pain d’orge, comme aux chiens.


Le lendemain matin, elle alla encore au bois, avec ses brebis, et la princesse lui acheta sa troisième boule d’or, au même prix que les deux autres, pour passer une troisième nuit avec le maître, dans sa chambre à coucher.


Quand l’heure du repas du soir fut venue, le maître se tint sur ses gardes, cette fois. Pendant qu’il causait avec son voisin, il vit la princesse qui lui versait, encore du narcotique dans son verre.


Il ne fit pas semblant de s’en apercevoir, mais, au lieu de boire le vin, il le jeta sous la table, sans être remarqué de la princesse.


En se levant de table, il feignit d’être pris de sommeil, comme les autres soirs, et se rendit dans sa chambre.

 

La bergère vint aussi, peu après.


Cette fois, il ne dormait pas, et, dès qu’il la vit, il se jeta dans ses bras, et ils pleurèrent de joie et de bonheur de se retrouver.


— « Retourne, à présent, dans ta chambre, ma pauvre femme », lui dit-il.

Au bout de quelque temps, et demain, tu verras du nouveau ici. »


Le lendemain, il y avait un grand repas au château, pour fixer le jour du mariage.


Il y avait là des rois, des reines, des princes, des princesses et beaucoup d’autres personnes de haute condition.


Vers la fin du repas, le futur gendre se leva et dit :
— « Mon beau-père, je voudrais avoir votre avis sur le cas que voici :
J’avais un joli petit coffret, avec une jolie petite clef d’or. Je perdis la clef de mon coffret, et j’en fis faire une autre.

 

Mais, voilà que, peu de temps après, je retrouvai ma première clef, de sorte que j’en ai, à présent, deux au lieu d’une. De laquelle pensez-vous, beau-père, que je dois faire usage ? »
— « Respect toujours à la vieillesse », répondit le futur beau-père.


Alors, le prince entra dans un cabinet, à côté, et en revint aussitôt, en tenant par la main la bergère, habillée simplement, mais proprement, et il dit, en la présentant à la compagnie :
— « Eh bien ! voici ma première clef, c’est-à-dire ma première femme, que j’ai retrouvée. C’est ma femme, je l’aime toujours, et je n’en aurai jamais d’autre qu’elle ! »

 

(Comme je l’ai déjà fait remarquer dabs des contes précédents, c’est ordinairement la princesse qui doit proposer cette énigme.)


Et ils retournèrent alors dans leur pays, où ils vécurent heureux ensemble, jusqu’à la fin de leurs jours.


 Conté par Barba Tassel, du bourg de Plouaret. — 1869.
 

 

 

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M
c'était des grandes rêveuse nos Bretonne d'antant...
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F
C'est surement de là que vient l'expression "avoir les boules", car l'es-future mariée les a !! Bises, et désolé de mon absence bien involontaire !  
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C
... et tout est bien qui finit bien ! Bon jeudi ! Bisoux. dom
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D
toujours aussi frais le matin chez nous en Alsace, je te souhaite une bonne journée bisous didier
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C
Un plaisir à relire. Bisou ZAZA bonne soirée
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