Bez’a zo brema pell-amzer’
D’ar c’houlz m’ho devoa dennt ar ier.
Il y a de cela bien longtemps,
Quand les poules avaient des dents
Aussitôt elle vit arriver son mari, avec sa tête de poulain, couvert de poussière et fort en colère.
— « Ah ! malheureuse », s’écria-t-il, « qu’as-tu fait ? »
A présent, je pars, et tu ne me reverras plus jamais !
Et il partit aussitôt, sans même l’embrasser.
Elle se leva pour le retenir ; ne le pouvant pas, elle courut après lui.
— « Ne me suis pas ! » lui cria-t-il.
Mais elle ne l’écoutait pas, et courait toujours.
— « Ne me suis pas, te dis-je ! »
Elle était sur ses talons, elle allait l’atteindre ; il se détourna alors et lui donna un coup de poing en pleine figure.
Le sang jaillit jusque sur sa chemise, et y fit trois taches.
— « Puissent ces taches », s’écria la jeune femme, « ne pouvoir jamais être effacées, jusqu’à ce que j’arrive pour les enlever moi-même ! »
— « Et toi, malheureuse », répondit son mari, « tu ne me retrouveras que lorsque tu auras usé trois paires de chaussures de fer à me chercher ! »
Pendant que le sang, qui coulait en abondance du nez de la jeune mère, l’empêchait de poursuivre,
l’homme poulain continuait sa course, et elle l’eut bientôt perdu de vue.
Alors, elle se fit faire trois paires de chaussures de fer, et partit à sa recherche.
Elle allait au hasard, ne sachant quelle direction prendre.
Après avoir marché pendant dix ans, sa troisième paire de chaussures était presque usée, quand elle se trouva un jour auprès d’un château, où des servantes étaient à laver du linge, sur un étang.
Elle s’arrêta un instant pour les regarder, et entendit une des lavandières qui disait :
— « La voici encore, la chemise ensorcelée ! Elle se présente à toutes les buées, et j’ai beau la frotter avec du savon, je ne puis enlever les trois taches de sang qui s’y trouvent ; et
demain le seigneur en aura besoin pour aller à l’église, car c’est sa plus belle chemise ! »
La jeune femme écoutait de toutes ses oreilles. Elle s’approcha de la lavandière qui parlait ainsi, et lui dit :
— « Confiez-moi un peu cette chemise, je vous prie ; je pense que je réussirai à faire disparaître les taches. »
On lui donna la chemise ; elle cracha sur les taches, la trempa dans l’eau, puis la frotta, et les
taches disparurent.
— « Je vous remercie », lui dit la lavandière ; « allez au château, demandez à loger et tantôt, quand j’arriverai, je vous recommanderai à la cuisinière. »
Elle se rendit au château, elle mangea à la cuisine avec les domestiques, et on la fit coucher dans un petit cabinet, tout près de la chambre du seigneur.
Tous les lits étaient occupés partout.
Vers minuit, le seigneur entra dans sa chambre.
Le cœur de la jeune femme battait si fort, de se trouver si près de son mari, qu’elle faillit s’évanouir.
Une cloison de planches seule les séparait l’un de l’autre.
Elle frappa avec son doigt sur la cloison ; son mari répondit de l’autre côté.
Elle se fit connaître, et son mari s’empressa de venir la rejoindre. Jugez s’ils furent heureux de se
retrouver, après une si longue séparation, et tant de maux soufferts !
Il était grand temps ! Le lendemain devait se célébrer son mariage avec la fille du maître de ce château.
Mais, il fit remettre la cérémonie, je ne sais sous quel prétexte, et comme le festin était préparé, et que les invités étaient tous arrivés, on se mit à table.
L’étrangère, belle comme une princesse, quoique peu parée, fut présentée à la société, par la fiancée,
comme sa cousine.
Le repas fut fort gai. Vers la fin, le fiancé parla ainsi à son futur beau-père:
— « Beau-père, je voudrais avoir votre avis sur le cas que voici : J’ai un joli coffret, rempli d’objets précieux, et dont j’avais perdu la clef. J’ai fait faire une nouvelle clef, et je
viens maintenant de retrouver la première. A laquelle dois-je donner la préférence ? »
— « Respect est toujours dû à ce qui est ancien », répondit le vieillard ; « il faut reprendre votre première clef. »
— « Eh bien ! voici ma première femme, que je viens de retrouver, car je suis déjà marié ; et comme je l’aime toujours, je pense qu’il me convient de la reprendre, comme vous l’avez dit
vous-même. »
Grand fut l’étonnement de tout le monde ; et au milieu du silence général, il prit sa première femme par
la main, et sortit avec elle de la salle du festin.
Ils retournèrent dans leur pays et vécurent heureux ensemble, le reste de leurs jours.
Conté par Barbe Tassel, au bourg de Plouaret. — 1869.