Un prix scolaire décerné à mon papa
pour son certificat d’étude.
Tellement lu et manipulé par des mains enfantines
Chapitre III
Comment la Colombe fit perdre à Major Pumpkin
Un pari de cent livres
Qu’il avait engagé avec Captain Wart
Je vous assure, major Pumpkin, que le village que nous avons en face de nous est Fontenoy.
- Je vous répète, captain Wart, que vous ne savez ce que vous dites. Le village que nous en face de nous c’est Authouing.
- Franchement, vous vous trompez, major Pumpkin.
- Me prenez-vous pour une oie, captain Wart ?
- Cependant, major Pumpkin…
- Assez discuté. Cent livres que c’est Auththouing.
- All right ! Cent livres que c’es Fontenoy.
Alors les deux officiers ne durent plus rien.
Cette conversation avait lieu à cinq heures du matin, sur la route de Lusse à Tournay, le 11 mai de l’an de grâce 1745.
Sous les feux du soleil levant, on pouvait apercevoir, dans l’immense plaine, une masse énorme d’hommes, de chevaux et de canons, qui semblait fouloir fondre sur Tournay, dont on apercevait les clochers à l’horizon.
C’était l’armé anglo-hollandaise, commandée par Sa Grâce, le duc de Cumberland, qui venait au secours de la garnison de Tournay, assiégée par Monseigneur Maurice de Saxe, duc de Courlande.
Les deux officiers dont nous venons de rapporter la conversation, appartenaient, en qualité de major et de capitaine, au sixième régiment des dragons de Norfolk, un beau régiment ma foi, qui buvait sec, se battait bien et mangeait mieux.
Major pumpkin était un gros homme à figure réjouie, tandis que son compagnon, long comme un jour ssan pain, figurait assez bien un échalas fendu qu’on aurait fiché sur une selle.
De longue date, ils se connaissaient,
Pumpkin et Wart avaient fait toute leur carrière ensemble, et quoiqu’ils ne fussent jamais d’accord, ils s’entendaient le mieux du monde.
Ils avaient une façon de régler leurs différends qui auraient pu, dans d’autres conditions, être fort onéreuse.
Ils pariaient, et d’assez grosses sommes, mais joutant éternellement l’un contre l’autre, les pertes et les gains s’équilibraient de telle sorte que les différences n’étaient guère sensibles.
- Major Pumpkin ?
- Captain Wart ?
- Nous allons être renseignés. Je vois là-bas, sur la route, un groupe de paysans.
- Ce ne sont pas des paysans, captain Wart, ce sont des paysannes.
- Voilà qui est un peu fort. Ce sont des hommes, vous dis-je !
- Croyez-vous que j’aie la berlue.
- Vous en avez tout l’air.
- Captain Wart ?
- Major Pumpkin ?
- Cinquante livres que ce sont des hommes.
- Cinquante livres que ce sont des femmes.
- Tenu !
- Tenu !
Les personnages qui intriquaient si fort nos deux officiers, étaient au nombre de trois.
Nous mettrons immédiatement d’accord les parieurs en déclarant que le groupe se composait d’un homme, d’une femme et d’une jeune fille.
L’homme était Cantaloube dit la Colombe.
La femme était madame Galaxaure, la sœur d’Hipppolyte Mistouflet.
La jeune fille était notre petite amie Morena.
C’était Cantaloube qui parlait :
- Oui, ma vieille amie, disait-il à Galaxaure en pleurs, voilà comment il mourut. C’était un noble cœur, un esprit fin, une intelligence profonde. Mais la mort aveugle frappe au hasard et laisse vivre les imbéciles après avoir fauché les gens supérieurs.
Galaxaure eut une crise de larmes.
Ce juste tribut payé à la nature, Galaxaure dit à la Colombe :
- Et vous, qu’allez vous faire ?
- Je ne sais pas trop. Avant tout, je m’éloigne de l’armée française où, à la suite de ma dernière aventure, on me recherche activement sans aucun doute.
- Vous quittez la France ?
- Pour quelques temps. Mais je n’abandonne pas la partie, j’ai bien des comptes à régler dans mon beau pays. D’abord en finir avec ce petit marquis vraiment trop obstiné à vivre, ensuite mener à bien un projet que je caresse depuis longtemps et qui doit me procurer une modeste aisance, enfin, me venger du baron qui, un jour, a voulu se débarrasser de cette pauvre Colombe qui ne lui avait pourtant jamais fait de mal !
- Ah ! les temps sont durs, soupira madame Galaxaure .
- Mais, au fait, comment êtes-vous ici ? interrogea Cantaloube.
- C’est bien simple. Ne recevant plus de nouvelles de mon frère, le bel Hippolyte, ne voyant plus personne de la bande, je commençai à craindre un malheur. Je voulus en avoir le cœur net. Après avoir cédé le Grand Triboulet à un voisin et avoir prié Pfiffer d’Altishoffen, qui allait mieux de chercher un gîte ailleurs, je commençai mes recherches. Elles n’aboutirent pas. Quelqu’un me donna l’idée d’aller à l’armée où peut-être Hippolyte servait comme volontaire, je suivis ce conseil et voilà comment vous m’avez rencontrée sur la route de Tournay !
- Pourquoi les quittez-vous ?
Galaxaure eut un petit air embarrassé qui allait drôlement à sa figure de vieille coquine.
- Je ne puis guère vous expliquer, répliqua-t-elle, c’est toute une histoire…-
- Des démêlés avec la prévôté, peut-être ?
- Justement. Tout se serait éclairci évidemment, il s’agissait d’un malentendu. Mais ces gens-là sont si grossiers que je n’ai pas voulu rester à leur merci.
- Et puis, ajouta la Colombe, quand ils vous tiennent, ils ne vous lâchent plus.
- Et ! oui, le plus sûr est bien encore d’être hors de leurs griffes. Mais dites-moi, Cantaloube, quel accueil va-t-on nous faire dans l’armée anglaise ?
- Excellent ! vous allez voir.
- Vous y connaissez quelque officier ?
- Moi ! pas du tout.
- Eh bien ! alors ?
- Nous allons demander à voir le général en chef et nous lui offrirons de lui donner tous les renseignements qu’il désirera sur la force et la position de l’armée française.
- Ah voilà une idée ! Mon petit Cantaloube, vous ferez de grandes choses.
- Oui, si le diable ne me prend pas avant.
- Vous êtes si adroit que vous pourriez vous tirer de ses griffes mêmes.
- Vous me flattez, Galaxaure.
- Que non pas. Pourtant une chose m’étonne. Comment se fait-il que vous, si intelligent, si supérieur, vous vous soyez embarrassé de cette petite souillon ?
La petite souillons, c’était Morena qui, pâle, marchait comme dans un rêve, ne voyant rien, n’entendant rien.
- Ah ! ma belle amie, répondit la Colombe je vais répondre à votre question.
- Voyons ?
- Quand vous vous expatriez, laissez-vous votre fortune derrière vous ?
- Jamais ? par exemple. Je l’emporte avec moi.
- Vous m’étonnez.
- Ce grand projet dont je vous parlais tout à l’heure…
- Oui…
- Eh ! bien voilà l’instrument dont j’ai besoin pour réussir…
- Quelle folie !
- Pas du tout.
- Vous plaisantez !
- Je vous affirme que non.
- Alors ce projet ?…
- Oh ! quant à cela ma belle, c’est un secret et quand Cantaloube a un secret, il le garde bien. Il y a même à ce propos quelque chose de curieux.
- Quoi donc ?
- C’est que les personnes qui ont voulu de près ou de loin s’occuper des secrets de Cantaloube sont toutes mortes de mort violente. Il y a des hasards extraordinaires.
Galaxaure comprit, pinça les lèvres et ne dit plus rien.
Nos trois personnages étaient d’ailleurs maintenant à peu de distance des dragons de Norlfolk dont les deux officiers se disputaient avec une nouvelle vigueur.
- Captain Wart, vous avez perdu.
- Mais non, major Pumpink, c’est vous.
- C’est inconcevable, vous aviez bien parié de c’était des hommes.
- Oui
- Et y a des hommes et des femmes. Donc vous avez perdu
- Parfaitement, mais vous n’avez pas gagné !
- Si.
- Et pourquoi, je vous prie ?
- Parce qu’il y a plus de femmes que d’hommes.
- Belle affaire ! D’ailleurs il n’y a que la lettre du pari qui compte.
- Autre chose, captain Wart ?
- Volontiers.
- Cent livres que ce sera la femme qui parlera la première.
- Cent livres que ce sera l’homme qui parlera le premier.
- Tenu !
- Tenu !
- Cantaloube venait de tirer cérémonieusement son chapeau et s’inclinait profondément devant les deux officiers.
- Messieurs, commença-t-il d’une voix claire.
- J’ai gagné, Pumpkin, cria captain Wart.
Cantaloube s’arrêta un peu ahuri.
- Messieurs les Anglais, nous vous prions de bien vouloir nous permettre de passer. Nous sommes de Ath. Ma pauvre mère et ma petite sœur étaient venues passer quelque temps chez des parents que nous avons à Authoing. Mais en présence de la guerre et de ses horreurs, je suis venu les chercher pour les ramener à la maison.
Ce petit discours fut débité avec une voix dolente qui aurait attendri un sauvage.
A DEMAIN POUR LA SUITE