Un prix scolaire décerné à mon papa
pour son certificat d’étude.
Tellement lu et manipulé par des mains enfantines
Chapitre II (fin)
Dans lequel il est prouvé que
M. le baron Hervier Lechat Poulain de la Poulinière
Apportait une remarquable obstination à l’exécution de ses projets
L’œil de la vieille flamba une seconde et s’éteignit.
Mais Larseneur avait surpris le tressaillement de la bohémienne.
Il n’en laissa rien paraître, tout d’abord.
- Tu es fou, mon bon Jonas, répondait le marquis, tu vois des poignards et du poison partout à présent.
- Mais il me semble que je n’ai pas si tort que vous voulez bien le dire, car votre aventure f’hier soir est là pour prouver que je ne radote pas lorsque je parle des dangers que vous courez.
- Tu sais bien combien je t’aime, Jonas, et combien j’apprécie ton dévouement, mais franchement aujourd’hui tes craintes ne sont pas assez justifiées.
- Eh bien ! soit, dit Larseneur semblant se résigner, faites ce qui vous plaira, vous êtes le maître, après tout.
L’œil de la bohémienne s’alluma encore une fois.
Alors Jonas n’hésita plus.
Il prit le breuvage des mains de la vieille femme.
- Mais toi, dit-il, tu restes là silencieuse, quand d’un mot tu pourrais dissiper tous les soupçons.
- Je ne comprends pas.
- Tu vois que je crains que tu n’ai mis du poison dans ce breuvage .
- Eh bien ?
- Pourquoi ne proposes-tu pas d’en boire la première ?
La bohémienne fit un geste involontaire d’épouvante.
- Oh ! oh ! gronda Jonas en posant le gobelet sur la table et en saisissant la vieille aux poignets, tu as eu un mouvement qui t’a trahi, ma chère, et tu vas payer ton imprudence.
La bohémienne se tordait impuissante, sous la main de fer du vieux soldat.
- Monsieur le duc, continua Larseneur, en s’adressant à Vallarmis qui, stupéfait de ce qui venait de se passer, restait cloué à sa place, voulez-vous avoir l’obligeance de faire boire à cette misérable le breuvage qu’elle voulait faire prendre à mon maître ?
Vallarmis obéit.
Alors , en voyant approcher de ses lèvres le fatal gobelet, elle éclata en cris horribles. Cétait des prières, des blasphèmes !…
- J’avoue, hurlait-elle, j’avoue… Faites-moi grâce ! Ah ! Satan, viens à mon secours. Mon jeune seigneur, ayez pitié, ne me forcez pas à boire la mort !
- Attends un peu, Jonas, dit Kertaillan qui n’avait pas pâli devant cette horrible scène, attends un peu. Il faut interroger tout d’abord cette femme.
Vallarmis éloigna le gobelet.
Alors le marquis s’adressant à la bohémienne :
- Quel est ton nom. Demanda-t-il.
- Tyrrah.
- Ton pays ?
- L’Espagne.
- Ton métier.
- Je dévoile l’avenir, je vends des philtres.
- Ou du poison, grommela Larseneur.
René continua :
- Tu me connaissais avant d’entrer ici ?
- Non.
- Pourquoi as-tu voulu m’empoisonner ?
- Parce qu’on m’a payée.
- Qui ?
- Un homme.
- Son nom ?
- Je ne puis le dire.
- Son nom, te dis-je ?
La vieille resta silencieuse.
- Réponds ! gronda René, sinon je te fais boire ton gobelet maudit.
La bohémienne frémit, baissa la tête, mais dessera les dents et ce fut d’une vois très basse qu’elle murmura :
- Le baron de la Poulinière.
René laissa tomber sa tête sur sa poitrine et murmura :
- Et moi qui l’aurais tant aimé !
Il releva le front.
- Qu’est-ce que ce poison que tu voulais me faire prendre ?
- Un breuvage dont j’ai le secret.
- C'est mortel ?
La vieille hésita un instant.
Enfin, sous l’œil menaçant de Larseneur, elle se décida :
- Oui, dit-elle.
- Combien le baron t’a-t-il donné pour me tuer ?
- Cinquante écus.
- Où est-il en ce moment ?
- Dans une ferme qu’on appelle Heudelière et qui est à une lieue d’ici.
- Il est seul ?
- Non son valet l’accompagne.
- Ils t’attendent ?
- Oui.
- Par qui as tu connu le baron ?
- Toute seule. D’ailleurs, je le connais depuis longtemps.
- Depuis combien de temps à peu près ?
- Une quinzaine d’années.
René était haletant.
Il continua :
- C’était en Bretagne, n’est-ce pas, que tu rencontras M. de la Poulinière ?
- Oui, fit la vieille surprise. Mais comment savez-vous cela ?
- C’est moi qui interroge. Tu as commis un premier crime avec le baron ?
- Non ? répondit la vieille d’une voix mal assurée.
- Ne mens pas. Tu as commis un crime abominable, monstrueux.
- Non, non…
- Je sais tout, tu as enlevé d’accord avec lui une pauvre petite fille que tu as étranglée sans doute au premier détour du chemin.
- Jamais ! jamais ! protesta-t-elle avec une soudaine véhémence, jamais je n’ai fait cela !
- Alors elle vit, ma sœur vit ? s’écria René dont l’émotion gonflait la poitrine.
- Comment, votre sœur ?…
- Oui ? je suis le neveu du baron.
- Ah Les lignes de la main… Oui, oui… vous êtes bien le frère de la petite fille.
- Réponds-moi vite. Ma sœur est-elle vivante ?
- Je ne sais pas.
- Misérable ! qu’en as tu fait ?
- On me l’a enlevée.
René retomba sur son lit et ses yeux se remplirent de larmes.
- Ah ! repris la bohémienne, j’aimais bien cette petite enfant, que les chrétiens appelaient Marie-Régine !
- Eh Bien ! Si tu l’aimais, repris René, comment n’as-tu pas su la défendre ?
- Le Chef commandait, répondit la vieille en baissant la tête, il faillait obéir.
- Il y a combien de temps que tu l’as perdue ?
- Une année.
- Et tu n’as plus jamais eu de nouvelles ?
- Jamais.
Il y eut un moment de silence, chacun songeait à l’incroyable hasard qui venait par des voies mystérieuses de faire retrouver l’un des fils qui devaient mener à la découverte de Marie-Régine de Kertaillan, la pauvre petite sœur de René.
Enfin René dit :
- Tu vois, Jonas, que cette femme, malgré ses crimes, ne doit pas mourir encore.
- C’est vrai, monsieur le marquis, nous avons besoin d’elle. Mais ne perdons pas de temps, utilisons les renseignements qu’elle vient de nous donner. J’ai hâte de punir ces deux misérables.
- Je vous accompagnerai, Larseneur, dit vivement Vallarmis.
Avant toutes choses, je vais remettre cette femme entre les mains de la prévôté, qui saura bien nous la garder.
- Bien dit, Monsieur le duc. Allons, marche, vieille sorcière, ajouta Larseneur en poussant dehors la vieille femme.
Mais tout à coup il se ravisa et fit rentrer la bohémienne dans la chambre.
- Encore un mot, misérable, dit-il à Tyrrah.
- Parlez.
- Peut-être cherches-tu encore à nous tromper.
- Pourquoi faire.
- Afin de donner à tes complices le temps de se mettre hors de nos atteintes.
- Je n’ai pas fait cela.
- Je ne te crois pas. J’ai dit la vérité.
- Nous allons bien voir. Ecoute-moi bien.
- Oui.
- Si nous ne trouvons pas les deux coquins à l’endroit que tu nous a indiqué, tu seras d’abord fouettée au sang.
- Bien
- Ensuite in t’arrachera les ongles un à un.
- Après.
- On te coupera la langue.
- Ensuite.
- On t’explosera aux mouches et aux abeilles après t’avoir enduite de miel.
- Est-ce tout ?
- Puis on te crèvera les yeux.
- Enfin ?
- Enfin on t’étranglera, mais sans serrer trop tout d’abord, afin que tu souffres plus longtemps.
- Et si j’ai dit la vérité ?
- On t’étranglera tout de suite sans te faire subir les supplices préparatoires dont je ne t’ai cité que quelques-uns. Maintenant tu maintiens tout ce que tu as dit ?
- Oui.
- Le baron et son valet sont à la ferme d’Heudelière ?
- Oui.
- Et nous les y trouverons ?
- De ceci, je ne puis répondre. Mais vous les trouverez probablement. Qui voulez-vous qui les prévienne ?
- C’est bon, dit Larseneur, en route ?
Au moment de franchir le seuil, le vieux soldat se retourna :
- Dans deux heures, je serai ici, monsieur le marquis, et dans deux heures, vous serez vengé, je vous le promets.
A DEMAIN POUR LA SUITE