Un prix scolaire décerné à mon papa
pour son certificat d’étude.
Tellement lu et manipulé par des mains enfantines
Chapitre V
Flamberge au vent !
Quinze jours après les évènements que nous venons de rapporter, le vieux Larseneur, complètement remis de ses terribles blessures, se promenait à petit pas sur la terrasse de Mousseuse, humant, avec une évidente satisfaction, les vivifiants parfums qui montaient de la terre et des bois.
Un beau soleil de mai réchauffait ses vieux membres et il aurait été parfaitement heureux, s’il n’eût pas remarqué la tristesse de René et de Jean, qui l’accompagnaient dans sa promenade.
- Voyons, monsieur le marquis, voyons, monsieur le duc, il ne faut pas vous désoler ainsi, dit-il, après un long silence, de sa voix rude. Je ne la connaît, votre Morena, mais je l’aime puisque vous l’aimez et je vous jure que nous la retrouverons. Me voilà maintenant debout et solide, et quelque chose me dit que la campagne que nous allons entreprendre ne sera pas infructueuse.
- Puissiez-vous dire vrai, mon bon Jonas, soupira Vallarmis.
- Mais nous nous occuperons d’abord de Morena, dit vivement le duc.
- C’est entendu, riposta Jonas avec un sourire. Et puis quand nous vous aurons rendu votre bohémienne incomparable, nous ferons nos petites affaires à nous deux, n’est-ce pas monsieur René.
- Mais je veux être avec vous, et je revendique ma part de fatigues et de dangers, reprit Vallarmis.
- Allons, voilà qui va bien. Le programme est maintenant arrête : d’abord Moréna, ensuite le châtiment de l’oncle et la réinstallation du neveu dans ses titres et des domaines. Et ne nous laissons pas aller au découragement. Vive la joie ! l’ennui tuerait le chat !
- Qui peut venir nous visiter ? Dit à ce moment Vallarmis, qui avait les deux yeux fixés dans la direction de l’avenue.
- Quelque voisin, sans doute, riposta René.
- Attendons.
Les trois hommes s’accoudèrent à la balustrade de pierre et fixèrent leurs regards sur deux cavaliers qui montaient l’avenue de toute la vitesse de leurs chevaux.
Tout a coup Jean s’écria :
- Dieu me pardonne ! si j’étais sûr de sa présence à l’armée, je dirais que c’est mon cousin Tavannes qui vient nous rendre visite.
Les cavaliers se rapprochèrent rapidement.
- Mais c’est bien lui ! Vite, René, va prévenir ma tante et ma sœur.
René partit en courant, et quand il revint avec les deux dames, le cousin de Jean mettait pied sur la première marche du perron.
Les présentations furent bien vite faites.
- Mon frère, le marquis de Kertaillan, avait dit Vallarmis à Tavannes qui ouvrit de grands yeux. Je vous expliquerai cela tout à l’heure, ajouta le duc en souriant de la stupéfaction de son cousin. Pour le moment, rentrons au salon, nous serons mieux pour causer.
Le comte de Tavannes-Lavardeins était un bel homme d’une quarantaine d’années, aux traits nobles et énergiques.
Il portait le brillant uniforme du régiment des gendarmes d’Artois, dont il était colonel.
L’habit s’agrémentait de parements, de revers, et le collet de drap écarlate, bordé d’un galon d’argent, tandis que la veste et la culotte étaient en drap chamois.
M. de Tavannes portait sur son bras un grand manteau rouge, qui était d’uniforme.
Quand tout le monde dut installé :
- Maintenant, parlez, monsieur mon cousin, quel bon vent cous amène parmi nous ?
- Comment, la bataille ! Je croyais qu’on était sur le point de signer la paix !
- En effet, tout faisait présager la cessation des hostilités, mais l’ennemi se refuse à traiter. Nous allons donc être forcés de lui arracher la paix à force de victoires.
- Mais comment êtes-vous ici ?
- Parce que, comme j’allais de Paris, avec mon régiment que j’emmène en Flandre, Son Excellence M. de Paulny, le secrétaire d’Etat à la guerre, me pria d’aller inspecter, à Dreux, quelques troupes de milice que l’on compte faire partir bientôt. De Dreux, j’ai poussé jusqu’ici, pour vous prévenir que le courrier qui vous apporte de rejoindre votre régiment doit être maintenant en route.
- Je comprends, dit René vivement, et je veux t’accompagner.
- Sang et mitraille ! s’écria la comtesse Ertnestine, voilà qui est parlé ! J’aime ça moi, Ventre de biche. Ah ! pauvres femmes que nous sommes, obligées de rester au foyer du Temple de la famille !
- Voulez-vous accepter une lieutenance dans mon régiment, monsieur le marquis, demanda courtoisement Tavannes, que la comtesse venait de mettre au courant.
- Je vous remercie mille fois de votre bienveillance, Monsieur le comte, répondit René en rougissant, mais je voudrais bien ne pas quitter Jean.
- Ah ! merci, mon bon René, merci du fond du cœur !
- Je vous quitte, dit M. de Tavannes en se levant.
- Quoi, déjà ?
Mes gendarmes d’Artois vous suivront le plus près possible, mon cher cousin
- Je n’en doute pas. Merci encore de la peine que vous avez prise et de la joie que vous m’avez causée.
Deux minutes après, le comte de Talavannes-Lavardeins s’éloignait au galop de Mousseuse, suivi de son laquais.
Les deux jeunes gens allèrent bien vite rejoindre Larseneur pour lui conter la nouvelle.
Les deux amis parlaient ensembles, très animés, si bien que Jonas fut bien un quart d’heure avant de comprendre ce dont il s’agissait.
Quand il fut à peu près au courant et que Jean et René, enfin calmés, eurent cessé de parler, le vieux soldat eut un mélancolique sourire.
- Ah ! jeunes gens, jeunes gens, dit-il, c’est une chose terrible que la guerre. Vous ne voyez que le côté brillant de la bataille, les belles armes, les chevaux superbes, les grandes prouesses d’épées dans la poudre et la mitraille, mais il y a un terrible revers que vous ne connaîtrez que trop tôt. Allons, je ne veux pas vous décourager. D’ailleurs, j’étais comme vous à votre âge et puis je sera là pour vous aider à faire votre apprentissage.
- Comment, tu vas venir Jonas ?
- Certainement, ne suis-je pas solide à présent ! Et puis, il ferait beau voir que monsieur le marquis René de Kertaillan allât à sa première bataille sans avoir son vieux Larseneur à côté de lui.
A DEMAIN POUR LA SUITE