Dans la série des contes
de basse-Bretagne
EWENN CONGAR
Deuxième Partie
Un jour, en allant de chambre en chambre, où il voyait partout des trésors et des richesses de toute sorte, il rencontra aussi une princesse, d’une beauté éblouissante, qui lui parla de la sorte :
— « Je suis un des chevaux dont vous prenez soin, dans l’écurie du magicien, le troisième à gauche, en entrant, une jument pommelé-bleu.
Je suis fille du roi d’Espagne, et j’ai été enchantée et métamorphosée sous cette forme, que je dois garder, jusqu’à ce que j’aie trouvé quelqu’un pour me délivrer. Plusieurs ont déjà tenté l’aventure, mais, tous ont été métamorphosés en chevaux, ou en oiseaux, et ce sont ceux que vous êtes chargé de soigner. Si le magicien, à son retour, est content de la manière dont vous l’aurez servi, pour vous en récompenser, il vous dira de choisir un des chevaux de son écurie, pour aller avec vous chez votre père. Choisissez-moi, et vous ne vous en repentirez pas, plus tard. Rappelez-vous bien que je suis la jument pommelé-bleu, qui se trouve au troisième rang, à gauche, en entrant dans l’écurie. Beaucoup de princes et d’autres hauts personnages ont jusqu’ici tenté l’aventure, et tous y ont laissé leurs peaux, qui sont suspendues à des clous, dans une salle du château : prenez garde d’y laisser aussi la vôtre. »
La princesse lui fait lire les livres du magicien, et il y apprend sa science et les secrets de sa magie.
Au bout d’un an et un jour, le magicien revient à la maison, comme il l’avait promis.
Il est satisfait de la manière dont Congar s’est acquitté de son devoir, et il lui demande de rester une autre année à son service, et il doublera ses gages.
— « Non, dit Congar, je veux retourner chez mon père. »
— « Mais songe donc que tu es ici à douze mille lieues de ton pays. »
— « Peu importe, je veux m’en retourner chez mon père. »
— « C’est bien, voilà les cinq cents écus de tes gages, puis, viens choisir un cheval, pour t’en retourner chez toi. »
Et ils se rendirent à l’écurie. Congar fit semblant d’hésiter un peu, puis, désignant la jument pommelé-bleu, il dit :
— « Je choisis cette petite jument que voilà. »
— « Quoi, cette rosse ? Tu n’es vraiment pas connaisseur ; vois donc les beaux chevaux qui sont là à côtés. »
— « Non, cette petite jument me plaît, et je n’en veux pas d’autre. »
— « Ma malédiction sur toi ! Prends-la, mais je te rattraperai. »
Congar emmène la petite jument pommelé-bleu et part.
Aussitôt sortis du château, la jument reprend sa forme première et devient une belle princesse.
— « Retourne chez ton père », dit-elle à son libérateur ; « moi, je m’en vais également chez le mien, à la cour du roi d’Espagne, où tu te trouveras aussi, dans un an et un jour. »
Et elle disparut aussitôt.
Congar, de son côté, marcha résolument vers son pays.
Quand il en fut à une faible distance, il rencontra un mendiant, qu’il connaissait, sans être connu de lui, et lui demanda :
— « Ne connaissez-vous pas Ewenn Congar, mon brave homme ? »
— « Je le connais bien, c’est mon voisin », répondit le porte-besace.
— « Est-il toujours en vie, et comment vont ses affaires ? »
— « Il est toujours en vie, mais ses affaires vont mal, et il n’est guère plus heureux que moi. Il a dépensé le peu qu’il possédait, pour donner de l’instruction à son fils, et son fils l’a abandonné et on ne sait ce qu’il est devenu. »
Congar donna une pièce de vingt sous au vieux mendiant, et continua sa route.
Il arrive à la chaumière de son père et retrouve son père, bien vieilli, assis devant la porte de son habitation.
— « Bonjour, mon père, me voici de retour ! » dit-il en l’embrassant.
— « Ne vous moquez pas de moi », répond le bonhomme, qui ne reconnaissait plus son fils.
— « Je suis riche, aujourd’hui, mon père, et il faut nous réjouir ; voyez ! »
Et il jeta sur la table cinq cents écus, en belles pièces d’or.
Puis, il envoya acheter des provisions, au bourg, du pain blanc, du bœuf, du lard, des saucisses, du cidre et même du vin, et l’on fit un véritable festin, auquel furent invités quelques voisins.
Et ce fut tous les jours ainsi, pendant que durèrent les cinq cents écus.
Fin de la deuxième partie