SCOUARN, LE BRETON
On entendit alors le premier coup de minuit "kentañ hloc'hadoù an hanternoz" .
Scouarn éperonna le cheval de ses sabots neufs et celui-ci, malgré son âge, partit au
triple galop, piquant à travers la lande et fonçant en direction de la plage.
Scouarn n’avait pas besoin de l’encourager, le cheval filait à toute allure.
La torche enflammée éclairait leur course.
- « Ils courent vers le diable ! » "Dioul davet galopat" murmuraient
les passants en les croisant.
Au deuxième coup de minuit "elveit hloc'hadoù an hanternoz", le vent leur fouettait le visage, le sable jaillissait sous les sabots de Cozic, sa crinière blanche
semblait voler.
- « Va, mon bon cheval, va ! »
Scouarn ne fut pas étonné d’entendre sa monture lui répondre :
- « Aie confiance, mon maître ! »
Au troisième coup de minuit "trede hloc'hadoù an hanternoz", Scouarn crut apercevoir une masse sombre entourée par la mer.
Au quatrième coup de minuit "pervare hloc'hadoù an hanternoz", une voix tonna :
- « Que faites-vous ici, misérables ? Partez pendant qu’il en est encore temps
! »
Etait-ce la mer, était-ce les vagues qui parlaient ainsi ? A moins que ce ne fût le
château lui-même…
Derrière ce vacarme, il sembla à Scouarn percevoir un murmure de
femme.
- « Vous ne nous faites pas peur ! » cria-t-il aux esprits alors que la lumière
de sa torche se faisait plus vive et que Cozic franchissait le pont levis.
Au cinquième coup de minuit "pempet hloc'hadoù an hanternoz", ils pénétrèrent dans la cour du château.
Cozic s’ébroua vivement, jetant à bas son cavalier.
Scouarn se releva pour ramasser ses sabots perdus dans la
chute.
- « Suis tes sabots neufs, Scouarn ! » cria le cheval alors que les sabots du
jeune homme partaient seuls vers la salle de garde.
Scouarn, serrant la torche dans sa main, se releva prestement et se mit à courir après
eux.
Il les rattrapa bientôt devant une vaste cheminée. Dans l’âtre brillait un grand feu "tantad bras luc'hañ" ; des ombres semblaient y danser.
Le sixième coup de minuit "c'wetc'hvet hloc'hadoù an hanternoz" retentit. Un éclat de rire sinistre lui fit écho dans le château et la mer gronda
au-dehors.
« Scouarn le téméraire, à Noël, fait le fanfaron,
Scouarn le téméraire, à Noël, nous le garderons ! »
Scouarn ne comprenait pas d’où pouvaient venir les voix qui chantonnaient
ainsi.
- « Par ici, Scouarn, par ici la baguette en coudrier d’or ! »
Rendu fou par ces voix, le jeune homme se mit à courir dans tous les sens, sans plus
savoir ce qu’il faisait. Et dans ce fracas, il percevait toujours un murmure trop faible pour qu’il puisse le comprendre.
Au septième coup de minuit "seishvet hloc'hadoù an hanternoz", Cozic s’adressa au jeune homme :
- « Ne les écoute pas ! Va dans le feu, Scouarn, va dans le feu
! »
Scouarn n’hésita pas une seconde, et entra sans peur dans le brasier: les flammes
léchaient ses sabots, mais ceux-ci ne prirent pas feu.
Comme le huitième coup de minuit "eizhvet hloc'hadoù an hanternoz" sonnait, les ombres se firent plus nombreuses dans la cheminée, elles encerclaient Scouarn
:
« Regarde, Scouarn le téméraire
Regarde, Scouarn le fanfaron,
Qui nous gardons, Qui nous avons
! »
Stupéfait, Scouarn vit alors au fond de la cheminée, au milieu de ces ombres horribles et
grimaçantes, une jeunes fille en pleurs.
Elle tourna vers lui son beau visage et le supplia de la sauver.
C’était là le murmure qu’il entendait depuis le début. Il fit un pas vers elle au moment où retentissait le neuvième coup de minuit.
- « La baguette, Scouarn, dans le feu, va d’abord chercher la baguette de coudrier
d’or ! Sers-toi de ta torche! »
L’ordre que lui soufflait Cozic était sage. Scouarn brandit le morceau de bûche de Noël embrasé qu’il tenait en main depuis son départ.
Devant ce feu magique, les flammes maléfiques de la cheminée s’écartèrent et laissèrent
apparaître la fameuse baguette.
Scouarn s’en empara au dixième coup de minuit "dekvet
hloc'hadoù an hanternoz".
Avec un denier hurlement, les ombres s’évanouirent aussitôt dans la nuit, les murs du château s’effritèrent et redevinrent sable…Tout fut silencieux ?
Scouarn n’avait d’yeux que pour la jeune fille. Elle se jeta dans ses
bras:
- « Sauves-moi ! Je suis prisonnière ici et j’attends depuis si
longtemps! »
- « Scouarn, vite ! » lui cria Cozic.
D’un bond, Scouarn fut en selle, aidant la jeune fille à monter en
croupe.
- « Qui es-tu ? » demanda-t-il. La réponse de la jeune fille se perdit dans le
rugissement de la mer qui apparut soudain, envahissant tout à une vitesse vertigineuse.
Cozic repartit à bride abattue, mais c’était un vieux cheval. Il trébucha, projetant ses
cavaliers plus loin, puis il tomba et roula, blessé, dans l’eau montante "lanv".
- « Partez ! Ne m’attendez pas ! Je retiendrai les flots si je peux. »
Scouarn voulut revenir sur ses pas, mais ses sabots l’en empêchèrent et l’obligèrent même
à courir le plus vite possible.
Le jeune homme semblait voler, entraînant la jeune fille derrière lui, la mer à leur poursuite.
Scouarn se retourna en entendant le onzième coup de minuit
"unnekvet hloc'hadoù an
hanternoz" : il ne vit plus Cozic, mais reconnut sur la crête
des vagues la crinière blanche qui se mêlait à l’écume et freinait l’avancée des flots.
Une vague rattrapa pourtant les fugitifs, éteignant la torche de Scouarn. Ils se crurent
perdus, mais la bûche devint alors une planche de salut à laquelle ils s’accrochèrent.
Au douzième coup de minuit "daouzekvet
hloc'hadoù an hanternoz", ils s’écroulèrent sur la grève, enfin sauvés "salv erziwehz" !
Tiphaine, la jeune fille, dit à Scouarn :
- « Seul un cœur pur et honnête pouvait rompre le sortilège dont j’étais
prisonnière. J'ai de l'amour pour toi "Karantez am eus evidout"et je te serai fidèle à jamais. »
On fêta cette nuit-là le plus beau et le plus joyeux des Noëls.
Chacun voulut les voir, les toucher, les embrasser.
Quelque temps plus tard, Scouarn et Tiphaine se marièrent. On ne sait pas s’ils eurent beaucoup d’enfants, mais on sait qu’ils rendirent tout le monde autour d’eux très heureux grâce à la baguette.
Et, en mémoire de cette aventure, ils firent construire au bord de la mer, face à l’endroit où s’élevait auparavant le sinistre château, une chapelle :
La chapelle de st Michel en grève
"Chapel an Lokmikael-an-Traezh"
On peur encore l’admirer de nos jours, érigée sur une plage de Bretagne, dans le
Côtes-d’Armor.
Et si vous regardez bien, vous reconnaîtrez, vous aussi, au loin, la crinière de Cozic
dans l’écume des vagues…
(Extrait de « NOËL », livre de contes, poésies, et des chansons - Milan-jeunesse)
JOYEUX NOËL
"Nedeleg Laouen"