Celle que l’on dénomme la mort
Deuxième partie
L’enfant fini par présenter sa tête et l’on comprit alors pourquoi les choses étaient si difficiles. L’enfant avait le cordon doublement noué autour de son cou.
L’une des femmes qui se trouvaient avec moi dans la pièce se saisit d’un couteau rouillé
et mal lavé qu’elle me tendit en hâte :
- « Vite ! » Me dit-elle.
Je ne m’étais pas posée la moindre question. J’avais saisi le cordon et le tranchai net.
Au même instant la jeune fille poussa un long râle
et je sentis la mort derrière mon épaule qui s’approchait d’elle pour lui enlever son âme.
Je n’avais jamais senti la mort passer si près. J’en ai encore des frissons qui me parcourent tout le long du dos.
- « Tapez-lui sur les fesses ! » Me cria la sœur de la jeune mère qui agonisait.
Encore une fois, je m’en acquittai sans réfléchir et nous fûmes alors tous stupéfaits face à l’enfant. Il n’avait pas crié ! Il n’avait hurlé ! Il n’avait pas pleuré ! Il n’avait pas braillé !
Il avait juste parlé, oui, c’est cela, juste parlé, calmement, lentement, s’en s’affoler, sans paniquer. Il avait dit :
- « Maman ! »
Toutes le femmes se mirent à genou, osant regarder l’être extraordinaire qui venait de naître.
Mais moi ! Oui, moi, je ne pouvais pas en croire mes yeux. J’ai bien dit mes yeux car le plus incroyable n’était pas ce que j’avais pu entendre mais plutôt ce que je pouvais voir.
L’enfant tendait les bras droit devant ce personnage transformé en arbre de vie, la mort qui se trouvait juste dans mon dos. Le nouveau-né avait dit maman à l’être de nuit. Il la prenait pour sa mère.
Je m’étais machinalement retournée.
Je vis la mort d’encore plus prêt que je ne pourrais le croire.
Son haleine empestait tant mes narines qu’elle aurait pu me les voler d’un simple claquement de dents, si toutefois elle avait eu des dents ce qui reste à prouver.
Car bien qu’elle ne fut pas à plus de dix centimètres de mon visage je ne pouvais toujours pas distinguer le sien, mal emmitouflée dans son large capuchon noir qui couvrait sa transformation en arbre de vie.
Ce n’est que bien des siècles plus tard, que je vis enfin le vrai visage de la mort, mais ceci, ceci est une autre histoire que je vous conterai peut-être un jour.
L’enfant s’était retourné instinctivement dans mes bras.
- « Maman ! » Avait-il dit une seconde fois.
Cela avait eu le don de faire baisser la tête de Marie-Jeanne qui par une curiosité mal placée avait fini par se risquer à regarder l’enfant.
Et je vous avoue que j’en fus soulagée car il valait mieux que personne ne puisse voir la scène qui allait suivre.
La mort me prit l’enfant et se mit à le bercer dans ses bras.
Ce dernier souriait, heureux, apaisé, rassuré. Il s’endormit en un instant. La grande faucheuse
pencha sa tête sur l’enfant comme pour l’embrasser puis me le redonna le plus naturellement du monde.
Je la vis alors se saisir de l’âme de l’infortunée défunte et se sauver précipitamment
en passant par l’âtre incandescent de la cheminée.
Je suis restée deux ou trois minutes médusée puis j’ai posé ma main sur l’épaule de Marie-Jeanne.
- « C’est fini ! Elle est partie ! »
Marie-Jeanne et les autres femmes n’avaient pas vu la mort. Je suis la seule à posséder ce bien étrange pouvoir. Elles se levèrent et se penchèrent sur la mère de l’enfant.
- « Vous avez raison ZAZA ! Elle est partie à tout jamais ! » Reprit Marie-Jeanne. « Pauvre petit enfant, à peine au monde et déjà orphelin ! »
- « Il ne le restera pas longtemps. Je suis sûre que quelqu’un l’aime beaucoup et prendra soin de lui. » Avais-je répondu machinalement les yeux perdus dans les flammes qui rougeoyaient dans le foyer.
- « Comptez sur moi ! J’élèverai ce petit garçon comme mes propres enfants ! » Avait répondu Magdelen,
femme d’Erwan et tante du nouveau-né.
- « Quand même c’est bizarre ! Vous l’avez bien entendu dire maman ! » Demanda Marie-Jeanne en regardant l’enfant assoupi.
- « Peut-être avons-nous rêvé ? » Lui répondis-je.
- « Vous croyez ? Quand même ! Nous aurions tous rêvé la même chose ? » Dit la Ninon en recouvrant le corps de la malheureuse défunte d'un linceul.
A demain pour la fin