Dans la série des contes
de basse-Bretagne
Yann ha Yannig
Fin
Yann Kerbrinic et Yannig Kerboule’ch, mari et femme, faisaient le plus beau couple du monde, selon un vieux dicton (Jann ha Jannet, braoa daou den a vale).
****
Yann avait la mort dans l’âme et les larmes aux yeux, en quittant la chaumière, et il dit à Yannig, qui le suivait :
— « Tire les portes sur toi. »
— « C’est bien » dit Yannig, Et elle enleva les portes de ses gonds et la chargea sur son dos.
Yann marchait devant, triste et soucieux ; Yannig venait après lui, et gémissait et s’attardait.
Yann se détourna, en l’entendant se plaindre et souffler, et son étonnement fut grand de voir qu’elle portait les portes de leur chaumière sur son dos.
— « Pourquoi diable portes-tu ces portes sur ton dos ? » lui demanda-t-il.
— « Pourquoi ?... Ne m’avez-vous pas dit de tirer les portes sur moi ? »
— « Oui, de les fermer après toi, ma pauvre femme ! »
— « Dam ! Est-ce que je pouvais savoir ça, moi ? »
— « Puisqu’elles sont venues jusqu’ici, ne les abandonnons pas sur la route ; peut-être pourra-t-elle nous servir, d’ailleurs ; donne-moi-la, à mon tour. »
Et Yann chargea la porte sur son dos, et ils continuèrent leur route.
Il y avait déjà quelque temps que le soleil était couché, et, comme ils ne rencontraient aucune habitation, ils étaient inquiets de la manière dont ils passeraient la nuit.
Ils suivaient depuis longtemps la lisière d’un grand bois, dont ils ne trouvaient pas la fin.
— « Entrons dans le bois, pour y passer la nuit, dit Yann, nous y serons moins exposés au froid. »
— « Entrons dans le bois », dit Yannig.
Et ils entrèrent dans le bois ; mais, comme il y avait dans ce bois beaucoup de bêtes fauves Yann, pour plus de sûreté, intima l’odre de monter dans un vieil arbre, fixèrent solidement les portes de leur maison entre les branches, et s’étendirent dessus pour dormir, car ils étaient fatigués.
Mais, ils furent éveillés, au milieu de la nuit, par un vacarme épouvantable et des jurons, qu’ils entendirent sous l’arbre.
— « Qu’est-ce que c’est, grand Dieu ? » dit Yannig, tout effrayée.
— « Silence ! Ne dis mot, ou nous sommes perdus ! »
C’étaient des brigands, qui venaient de faire une bonne prise, et qui étaient venus partager leur butin sous l’arbre.
Il faisait un beau clair de lune.
Mais, ils ne s’entendaient pas, et de là tout ce bruit et ces jurons.
Yannig eut si grand peur que... elle leur fit croire qu’il pleuvait....!!!
— « Voilà qu’il pleut », dit un des brigands, « hâtons-nous d’en finir. »
Puis, Yannig malade de peur, fit tomber sur eux quelque chose de moins liquide et de plus odorant, et, s’étant portée brusquement à un angle de l'un des portes, celles-ci perdirent l’équilibre, de façon à ce que Yann, Yannig et les portes dégringolèrent, de branche en branche, avec un grand fracas, et vinrent tomber au milieu des brigands.
Ceux-ci, croyant avoir à leurs trousses tous les diables de l’enfer, déguerpirent, au plus vite, abandonnant sur place leur or et leur argent.
Yann et Yannig en remplirent leurs poches, et, au lieu de continuer leur route aventureuse, ils s’empressèrent de retourner à la maison.
Chemin faisant, Yannig dit à Yann :
— « Eh bien ! Yann, crois-tu encore que j’avais si mal fait d’emporter les portes ? Et diras-tu encore que je suis bête ? »
Ils étaient riches, à présent, et ils achetèrent une belle ferme et firent bâtir une belle maison, la plus belle du pays.
Ils donnaient l’aumône à tous les mendiants qui se présentaient au seuil de leur porte ou qu’ils rencontraient sur leur route, et ils étaient estimés et aimés de tout le monde.
Yannig donna un fils à Yann, lequel fut appelé Yann Kerbrinic, comme son père, bien que Yanng craignît qu’on n’eût pu trouver un nom pour lui, tous les noms étant déjà pris.
Et voilà l’histoire de Yann et de Yannig.
En avez-vous jamais entendu de plus belle ?
Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet-(Côtes-du-Nord). Décembre 1868.