Dans la série des contes
de basse-Bretagne
Yann ha Yannig
Première partie
Yann Kerbrinic et Yannig Kerboule’ch, mari et femme, faisaient le plus beau couple du monde, selon un vieux dicton (Jann ha Jannet, braoa daou den a vale).
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Yann était un bon laboureur, aimé et estimé de son maître et de tous ceux de sa paroisse.
A plusieurs lieues à la ronde, il n’avait pas son pareil, aux grands jours de semailles, de moisson, ou pour battre le blé, sur l’aire.
Par exemple, il n’était pas des plus fins, mais, qu’est-ce que cela fait ?
Après avoir longtemps servi et travaillé pour les autres, il voulut aussi travailler pour lui-même et se marier. Il se mit donc en quête d’une moitié de ménage, c’est-à-dire d’une femme.
Non loin de la ferme où il servait, habitait, dans une petite chaumière, une veuve nommée Yannig Kerboule’h.
Yannig possédait la petite maison qu’elle habitait, puis un courtil avec un petit champ qui y attenaient, et enfin une vache et son veau.
Elle avait encore une fille de dix-huit à vingt ans, nommée Yannig, comme sa mère, qui n’était ni laide, ni belle, ni des mieux partagées du côté de l’intelligence, mais, qui promettait de faire un jour une bonne ménagère.
— « C’est là celle qu’il me faudrait », se dit Yann, « et si je pouvais l’avoir pour moitié de ménage (Hanter tiégès), je m’estimerais heureux. »
Il se mit donc à fréquenter la maison, et il ne passait jamais devant la porte sans entrer, sous un prétexte quelconque, tantôt pour allumer sa pipe, tantôt pour s’enquérir si l’on n’avait pas vu passer une vache ou une brebis égarée, de chez sou maître, ou quelque autre chose semblable.
La veuve le recevait bien, parce qu’il avait bonne conduite et bonne renommée, dans la paroisse, et la fille aussi n’était pas indifférente à ses visites.
Le second dimanche de juin, la jeune fille était de garde à la maison, après avoir été à la première messe du matin, et Yann, après la grand’messe, devait venir dîner avec la veuve et sa fille, afin d’avancer ses affaires et de conclure, s’il était possible.
Au moment de partir pour le bourg, après avoir fait un peu de toilette, la mère dit à sa fille :
— « Vous savez que Yann Kerbrinic doit venir dîner aujourd’hui avec nous, faites donc en sorte que la soupe soit bonne, et pour cela soignez-la et mettez-y ce qu’il faut (peadra, en breton). »
— « C’est bien, ma mère », répondit Yannig.
Et la vieille partit là-dessus.
Et voilà Yannig de s’occuper de son pot au feu.
Elle y mit des choux, des navets, des carottes et une bonne tranche de lard. Puis elle activa le feu, et le pot bouillit bientôt.
— « Il est temps d’y mettre à présent peadra », se dit-elle alors.
Or, il y avait à la maison un petit chien qui avait nom Péadra . Yannig l’appela à elle :
— « Tiens, peadra ! Venez ici, mon petit chien. Ma mère m’a recommandé de vous mettre dans la marmite. C’est là une singulière idée, mais, c’est sans doute afin que Jan, après avoir mangé de la soupe, m’aime davantage et que le mariage se fasse promptement: il faut faire comme elle a dit, bien que je te regrette, mon pauvre petit chien. »
Et elle prit peadra, qui était venu à elle, en agitant sa queue, le mit dans la marmite bouillante et plaça le couvercle dessus. Puis elle mit encore du bois au feu, tailla la soupe dans les écuelles de bois et balaya la maison.
Fin de la première partie