Triste destin de Jobic « Le Diod »
Deuxième partie
Grand-Père Marcel était mort,
il y a une dizaine d’années, mais il avait raison. Ils ont fini par remettre ça. Et cette fois-ci, pour mon père, ce fut bien la der des ders. Il n’avait pas survécu aux premiers combats en 39.
Et moi, me direz-vous, pourquoi n’y suis-je pas de cette guerre? Les autres garçons de mon âge sont partis avec les marins rejoindre le Général en Angleterre.
Je suis le seul du village à y fêter mes vingt ans aujourd’hui.
Longtemps, j’ai demandé à ma mère pourquoi je ne pouvais pas partir, jamais elle n’a jamais voulu me répondre.
Mais maintenant je le sais bien pourquoi je ne suis pas parti. Je l’ai entendu dire, l’autre jour, par Madame Jaouen à Marie Le Saoût, la boulangère.
Il paraît que c’est à cause de mon surnom.
Avec mon surnom je n’ai pas le droit de faire la guerre. C’est qu’il est chouette mon surnom. Dans le village tout le monde m’appelle « Le Diod ». (Benêt)
C’est joli « Le Diod ». C’est plus beau que Jobic en tout cas. Jobic, je trouve ça triste, froid, glacial.
« Le Diod », ça chante comme la voix du rossignol au printemps.
« Le Diod », ça glisse doucement dans la bouche comme de fines gouttes de pluies qui te filent entre les doigts.
« Le Diod », ça te réchauffe les oreilles comme si tu avais des rayons de soleil dans ta tête.
Je l’aime bien mon surnom. Il me fait rire. Alors, quand les gens m’appellent, je me mets à rigoler et eux de rajouter :
- « On ne t’appelle pas « Le Diod » pour rien toi ! »
Alors moi je ris encore plus fort. Oui mais voilà! Figurez-vous qu’avec un surnom comme celui-là on n’a pas le droit de faire la guerre, pas le droit de partir en Angleterre. C’est Madame Jaouen qui l’a dit l’autre jour quand je suis allé chercher du pain pour maman.
- « Et celui-là donc, pourquoi qu’il est toujours là ? » Lui avait demandé la boulangère.
- « Tu sais bien que ce n’est qu’un Diod », lui avait répondu Madame Jaouen.
« Ah, gast, ça c’est sûr. Regardez-le à rigoler comme ça. Il vaut mieux qu’il reste ici. Il serait capable de zigouiller nos bonshommes, « Diod » comme il est ! » Avait rajouté Marie Le Saoût.
Je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas le droit d’aller gazouiller avec les hommes. J’aimerais bien siffler des airs comme les pinsons.
Mais cela m’était bien égal. Vu ce que m’avait raconté Grand-Père quand j’étais petit, je préférais rester au village.
La guerre c’est moche qu’il disait. Et moi, je n’aime pas les moches. La preuve, Marie-Joseph,
la fille de la Valentine, elle est moche, et bien je ne l’aime pas…
Ce n’est pas comme Anna. Elle est belle Anna.
L’autre jour, je l’ai vue se baigner dans la Penzé. Je n’étais pas tout près, mais je me suis bien caché quand même. Je ne voulais pas qu’elle me voit. Elle était toute nue.
Elle est belle Anna. Mais je ne peux pas lui parler.
C’est parce que c’est la fille de Monsieur le Maire. Et Monsieur le Maire,
c’est quand même mon patron. Je suis cantonnier. Je ne pense pas qu’il apprécierait que j’approche de trop près d’Anna.
Alors je me contente de la regarder de loin, pour pas qu’on me voit, pour pas qu’on dise que je suis amoureux.
Je la suis discrètement et je fais semblant de travailler avec ma faucille.
Cet après-midi, Anna est partie se promener. Alors j’ai pris ma faucille et je suis sorti du village. Quand je vois du monde, je fais mine de nettoyer les fossés.
Les gens qui me croisent me disent bonjour. Et parfois certains rajoutent :
- « Pas très futé, mais travailleur ce brave garçon ».
J’aime bien « pas très futé », ça me fait rire aussi. Seulement, ils me retardent, et après, je ne sais plus où elle est passée Anna. Alors je continue de nettoyer les fossés, parce que je n’ai rien d’autre à faire.
C’est qu’il y en a des fossés tout autour de la commune. Cela m’occupe toutes mes journées, du matin jusqu’au soir. C’est bien simple, quand le soleil se lève, je prends ma faucille et ma pelle, quand le soleil se couche, je pose mes outils. Tous les jours c’est pareil.
Enfin, tous les jours sauf le dimanche. Ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, je change de surnom. C’est peut-être parce que je fais de la musique. J’aime bien la musique, c’est joli. La musique, je trouve que ça met des couleurs plein la tête.
Alors j’aime bien le dimanche et j’aime bien mon second surnom.
Le dimanche, on m’appelle le bedeau. Et depuis que maman a dit oui au curé pour que le dimanche on m’appelle le bedeau, et bien j’ai le droit de faire de la musique avec les cloches de l’église.
Elle est gentille maman, et Monsieur le curé aussi.
Avant la guerre, ceux de la fanfare du village,
ils n’ont jamais voulu que je fasse de la musique. Ils avaient peur que je casse leurs instruments. Pfft ! Comme si j’avais déjà cassé les cloches de Monsieur le curé !
Soudain, je me suis légèrement coupé un doigt avec ma faucille. C’est la première fois que ça m’arrive. C’est parce que j’ai sursauté en entendant crier.
C’est Anna qui criait.
J’ai regardé de tous les côtés, ça semblait venir du champ de maïs du père Fanch. Je me suis mis à courir. Elle hurlait si fort, elle devait avoir très mal pour crier comme ça.
Peut-être qu’elle s’est faite mordre par une vipère. Il faut que je cours vite. Si j’arrive le premier, je vais la sauver en suçant le venin.
Hé ! Qui sait ? La vipère lui a peut-être mordu le bout du sein ! Ça serait chouette...!
Quand je suis arrivé près d’elle, elle était allongée par terre, son chemisier était tout déchiré, je n’avais jamais vu ses tétons d’aussi près. Mais il n’y avait pas de vipère.
Par contre, couché à moitié sur elle, il y avait un boche en uniforme.
Il était allongé sur le ventre, et, dans le dos du boche, il y avait la fourche du père Fanch qui se tenait bien droite, plantée entre les omoplates. Le sang coulait sur le bord des pics de la fourche.
Le boche ne bougeait plus. Le vieux Fanch
n’était plus très véloce, mais pour ce coup là, il avait été plus rapide que moi.
- « Tirez-vous d’ici vite fait les enfants ! » Cria-t-il, « Il ne faut pas que les boches vous voient ! »
Je ne pouvais pas bouger. Anna s’était relevée. Elle me prit la main et me dit en pleurant.
- « Viens Jobic ! Il faut partir d’ici ! Vite ! »
Et je me suis mis à courir en tenant la main d’Anna.
De la bouche d’Anna, mon prénom s’évadait en chantant comme un serin à qui on vient d’ouvrir la porte de sa cage.
A l’entrée du village, elle me lâcha la main et, avant de s’en aller de son coté, elle chuchota à mon oreille.
- « Pas un mot de tout cela à personne ! Même pas à ta maman ! Tu me promets Jobic ! A personne ! Ce sera notre secret à toi, à moi et au vieux Fanch ! » Me dit-elle en me faisant un bisou sur la joue, tout en me caressant les cheveux lentement.
- « Promis Anna ! Pas un mot ! » Lui dis-je en souriant.
Je lui aurais promis tout ce qu’elle voulait, cela m’est bien égal à moi que personne ne sache rien. Du moment qu’elle pense à me faire des bisous, plein de bisous.
A demain pour la fin