LES DEUX BOSSUS
Daou boseg
Et ils se remirent à danser en chantant :
Dilun, dimeurz., dimerc'her, diriaou ha digwener !
Mais ils étaient maintenant pleins d'égards pour Kaour et veillaient à ne pas trop le fatiguer.
Quand ils virent que ses pas n'étaient plus aussi assurés ils arrêtèrent leur ronde et leur chef demanda :
— « Que désires-tu, Kaour, comme récompense pour nous avoir appris un si beau chant ? »
— « Comme récompense ? Ma foi... je ne sais pas... je ne cherchais pas une récompense. »
— « Eh bien, je t'offre le choix entre un sac d'or et d'argent ou la suppression de ta bosse. »
Le tailleur n'hésita pas.
— « Si vous êtes en mesure de m'enlever ma bosse et de me rendre aussi droit que le bâton de la bannière de ma paroisse, alors là ce n'est pas de refus ! »
Aussitôt les nains se jetèrent sur lui, le lancèrent en l'air, le firent pirouetter et se le passèrent de l'un à l'autre, comme un ballon de rugby.
Quand il retomba, tout étourdi, sur ses pieds, il n'avait plus de bosse
et était aussi droit que le bâton de la bannière de sa paroisse.
Le lendemain, Kaour rencontra son collègue Laouig qui, en le voyant, se frotta plusieurs fois les yeux :
— « Ce n'est pas possible ! C'est toi, Kaour? »
— « Comme tu le vois : c'est moi et nul autre. »
— « Ma parole ! tu as bien grandi, d'un seul coup, d'une coudée. Et qu'as-tu fait de ta bosse ? »
— « Ma bosse ? Quelle bosse ? Tu vois bien que je n'ai pas de bosse. Je ne suis pas un vilain bossu comme toi, Laouig. »
— « Cesse de te moquer. Tu n'as plus de bosse mais tu en avais une pas plus tard qu'hier. Il y a de la sorcellerie là-dessous. »
Kaour raconta ce qui lui était arrivé :
— « Satordellik ! » se dit Laouig, il faut que j'aille moi aussi, la nuit prochaine, faire un tour sur la lande.
Mais je ne serai pas aussi sot que ce pauvre Kaour : ce que je choisirai, ce sera le sac plein d'or et d'argent.
Dès que la lune se leva, il se mit en route et lorsqu'il aperçut les korrigans dansant en rond, il s'avança hardiment vers eux.
— « Viens danser avec nous », lui crièrent-ils.
Il pénétra dans le cercle et chanta avec eux :
Dilun, dimeurz, dimerc'her, diriaou ha digwener !
Mais bientôt, il leur demanda :
— « Ne savez-vous chanter que cela ? Ne connaissez-vous pas la suite ? »
— « Il n'y a pas de suite », répondirent-ils. » En connaîtrais-tu une ? »
— « Parfaitement. »
— « Oh ! dis-là nous alors. Dis-la vite ! »
— « Ecoutez :
Dilun, dimeurz, dimerc'her, diriaou, digwener, ha disadorn ha disul !
(Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, et samedi et dimanche)
Les korrigans firent la moue.
— « Ce n'est pas si joli », dit l'un.
— « Ça ne rime pas », fit un autre.
— « C'était beaucoup mieux avant », ajouta un troisième.
Mais leur chef intervint :
— « Ça ne fait rien, il faut tenir compte de l'intention. Nous avons récompensé Kaour, en lui offrant de choisir entre la richesse et la beauté. Nous devons la même récompense à celui-ci.
— « Vous m'offrez donc le même choix ? » demanda Laouig.
— « Oui. »
— « En ce cas, je choisis ce que Kaour a laissé. »
Les nains se jetèrent sur lui, le lancèrent en l'air, le firent pirouetter et se le passèrent de l'un à l'autre comme un ballon de rugby.
Quand il retomba, tout étourdi, sur ses pieds, il avait deux bosses. La sienne
et celle de Kaour.
Extrait de :
Contes et légendes du pays breton