Le secret de Koren
Troisième partie
L’explication remonte à un sort qu'une Morgane des mers du sud aurait jeté aux korrigans.
Toujours est-il que comme tous leurs noms commençent par K, depuis, il ne peuvent plus signer aucun document de leur nom complet.
Koren le sait, mais il trempe quand même sa plume dans l’encrier et griffonne au bas de la dernière page.
- « Voilà, je vais mettre oren,
ce sera… mon nom d’auteur ! » Dit-il à Karouant.
- « Ne te fatigue pas Koren, je connais le secret des korrigans. Je sais que vous ne pouvez pas signer. Quand à ton oren, voilà ce que j’en fais ! »
Karouant se saisit de la plume mit un « C » devant oren, puis accola « tin » derrière, suivi de son nom de famille, Quemeneur.
-« Et que lis-tu maintenant ? » Demanda-t-il au farfadet.
-« Corentin Quemeneur ! » Répondit-il.
- « Tu connais bien le breton n’est-ce pas, Karouant c’est Corentin. Cette histoire est désormais la mienne. Tu as perdu, tu n’as plus qu’à m’en écrire une autre, puis une autre et encore une autre, car jamais tu ne pourras en signer une ! » Lança-t-il en éclatant de rire.
Karouant présenta l’histoire à un éditeur qui s'empressa d’en faire un livre qui fut vendu dans le monde entier.
Il devint très riche, d’autant que les autres histoires de Koren connurent autant de succès, sous la signature « Corentin Quemeneur » bien sûr.
Cette histoire aurait pu s’arrêter là, mais heureusement il existe un dicton qui dit que le monde n’est pas fait que d’injustices. Un autre dicton rajoute que le hasard fait bien les choses.
En dix années passées à écrire dans le Penty de Karouant, Koren avait réalisé
vingt-neuf livres sans pour autant avoir pu en signer un seul.
Il s’était résigné à continuer ainsi pendant de nombreuses années. Il se réconfortait en se disant que Karouant n’était pas immortel, dès lors, tôt ou tard viendra le jour de délivrance.
Karouant avait obtenu une notoriété nationale et internationale.
Il passait ses journées dans la capitale et allait de réception en réception. Il était invité à la table des plus grands de ce monde.
C'était devenu un Monsieur !
Pendant ce temps-là, l’infortuné Koren poursuivait l'écriture de livres comme "nègre" de Karouant, sur la petite table en bois du Penty de Kerbézec.
Et c’est là que je l’ai vu, un soir de pleine lune, près du calvaire de Kérity.
Par une violente tempête, j’avais frappé violemment la porte du penty pour y demander asile.
Je ne peux pas dire que je fus surpris de trouver un korrigan tout seul en train d’écrire sur l’unique table de la maison.
Je ne peux pas dire non plus que le récit qu’il me fit de son histoire avec Karouant m’eut surpris d’avantage.
En tant qu’immortelle, j’avais déjà beaucoup trop voyagé dans le monde pour être étonnée de quelque chose.
Non, ce qui me frappa, c’est la tristesse qui transpirait des yeux du petit gnome. Il me faisait pitié. J’avais envie de l’aider, de lui porter secours, de lui porter assistance.
Mais je ne pouvais rien faire. Il était lié par un accord que nul ne pouvait défaire à part lui même.
J’avais repris ma route le lendemain à travers la lande parsemée d’ajoncs et de genêts.
Mon esprit était beaucoup plus embrumé que le paysage. Dans ma tête s’entrechoquaient toutes les solutions possibles et inimaginables pour aider Koren.
Aucune ne me donnait satisfaction. Je marchais tout en pensant, en réfléchissant à des issues possibles. J’étais si occupée que je n’avais même pas remarqué que la nuit était tombée. Je fus soudain sortie de ma torpeur par une voix venant du sol.
- « Fait attention ZAZA ! Tu as failli me marcher dessus ! »
J’avais baissé les yeux et je vis Korgamel, l’Harper-noz de Kervézen.
J’avais déjà croisé sa route car nous avions eu tous les deux affaires au cornu
pour une histoire de clefs des champs
- « Que t’arrive-t-il ZAZA ? Je te trouve bien soucieuse ! » Me questionna Korgamel qui me connaissait si bien.
- « C’est à cause de Koren de Kerbézec, il lui arrive une sale aventure et j’aimerais tant trouver un moyen de l’aider. »
- « Koren ! Mon cousin Koren ! Mais que lui arrive-t-il donc de si grave ? »
Je m’étais empressée de tout raconter à Korgamel.
- « Hummmmmmm ! » Me répondit ce dernier. « Il vaudrait mieux que tu oublies cette histoire. Il n’est pas raisonnable pour un humain de garder en soi une aventure où l’un des membres du petit peuple n’est guère à son avantage. D’autant plus, quand celle-ci comporte un lourd secret qu’il vaudrait mieux ne pas faire voyager chez les humains. »
- « Mais, que faire pour délivrer Koren ! On ne peut quand même pas le laisser comme ça ! »
-« Tu as bon cœur ZAZA. Je vais donc considérer que tu as déjà oublié ce que tu m’as dit et te laisser poursuivre ta route sans encombre. Quant à Koren, c’est au petit peuple de l’aider. Laisse-nous faire. Nous trouverons bien un moyen pour le sortir de là. »
J’avais suivi les conseils de Korgamel. Je savais trop bien que même si vous arriviez comme moi à lier une amitié avec ce petit peuple, il valait mieux ne pas contrarier un korrigan.
Ce n’est qu’hier que mes pas me conduisirent à nouveau du côté de Kerbézec.
J’avais complètement oublié cette histoire, mais tout m’est revenu quand j’ai rencontré Koren en compagnie de ses cousins. Une bande de joyeux drilles qui s'amusaient comme des fous.
A demain pour la fin.