Rèd ê ma ouefac’h
Penaoz eur veach.
Il y a de cela bien longtemps,
Quand les poules avaient des dents
Et elle se mit à chercher, d’abord sur la table, puis sous la table.
Elle ne trouvait rien.
A force de chercher, elle finit, pourtant, par découvrir un fragment
d’os de la tête.
— « Dieu soit loué ! » s’écria-t-elle, « tout n’est pas encore perdu ! »
Et elle se mit à frotter l’os, avec son onguent. Et, à mesure qu’elle le frottait, il grandissait, il grandissait, il se garnissait de chair, chaque membre revenait à sa place, tant et si bien que, peu à peu, le corps entier se reconstitua et se retrouva aussi vivant et aussi sain que jamais.
— « Holà ! » s’écria alors la princesse, tout va bien ! « Maintenant, les géants (ou les démons) n’ont plus aucun pouvoir ni sur moi ni sur les miens, et tout ce qui est ici vous appartient, Fanch, jusqu’à moi-même ! »
Aussitôt on vit arriver, de tous les côtés, une foule de gens de tout rang et de toute condition, des princes, des princesses, des ducs, des barons, des gens du commun, qui tous étaient retenus
enchantés dans ce château.
Il en sortait de partout, et ils remerciaient celui qui les avait
délivrés, puis ils partaient, chacun pour son pays.
— « Partons aussi », dit Fanch à la princesse. « Allons chez votre père. »
— « Pas encore », répondit-elle. Il nous faut séjourner encore trois jours ici, et, pendant ces trois jours, vous devrez rester sans manger ni boire, complètement à jeun, jusqu’au coup
de neuf heures, chaque matin. Si vous buvez ou mangez la moindre chose, avant cette heure, vous vous endormirez aussitôt, et ne me reverrez plus. Tous les matins, je viendrai vous voir, à midi,
et alors vous pourrez manger et boire. Vous m’attendrez, assis sur la pierre de la fontaine, dans le bois, et aussitôt le premier coup de midi, je me trouverai près de vous. Mais, prenez
bien garde de manger ou de boire, avant cette heure. »
Quand elle eut prononcé ces paroles, elle disparut.
Le lendemain matin, longtemps avant midi, fanch, accompagné d’un domestique, attendait la Princesse, assis sur la pierre de la fontaine. Il n’avait encore rien mangé, ni bu, et il avait faim.
Comme il attendait ainsi, il vit venir à lui une petite vieille femme
ayant au bras un panier rempli de prunes.
— « Bonjour à vous, jeune seigneur », lui dit la vieille.
— « A vous pareillement, grand’mère. »
— « Acceptez une prune de moi. »
— « Merci, je n’aime pas les prunes. »
— « Une seulement, pour les goûter , cela ne coûte rien , voyez, comme elles sont belles ! »
Il prit une prune. Mais, aussitôt qu’il l’eut portée à sa bouche, il s’endormit.
Midi sonna, eu ce moment, et la princesse
parut.
— « Hélas ! Il dort ! » dit-elle, en le voyant.
— « Oui », dit son domestique. « Une petite vieille est venue offrir une prune à mon maître, et dès qu’il l’a portée à sa bouche, il s’est endormi. »
— « Eh bien ! Quand il se réveillera, donnez-lui ce mouchoir, pour qu’il se souvienne de moi. »
Et elle donna un mouchoir blanc au domestique, puis elle s’éleva en l’air et disparut.
Fanch se réveilla en ce moment, et il put l’apercevoir, un instant.
Elle était toute blanche, comme uni ange.
— « Je m’étais endormi ! » Se dit-il, il faut que demain je me surveille mieux.
Le lendemain matin, comme il était encore assis sur la pierre de la
fontaine, avec son domestique, la même petite vieille vint à lui, ayant au bras un panier de figues.
— « Acceptez une figue de moi, mon beau seigneur ; voyez, comme elles sont belles ! »
Fanch accepta encore une figue de la vieille. Il la mangea, et s’endormit aussitôt.
Au coup de midi, la princesse arriva auprès de la
fontaine.
— « Hélas ! Il dort encore ! » s’écria-t-elle, avec douleur.
— « Oui », dit le domestique. « La petite vieille est encore venue, et elle a donné une figue à mon maître, et aussitôt qu’il l’a mangée, il s’est endormi. »
— « Voilà un mouchoir gris, que vous lui donnerez, quand il se réveillera, pour qu’il se souvienne de moi. »
Et elle s’éleva encore en l’air, en gémissant.
Fanch se réveilla, au même moment, et il la vit encore qui montait vers
le ciel. Cette fois, elle portait une robe grise.
— « Mon Dieu », dit-il, « je m’étais encore endormi ! Et qu’est-ce qui me fait donc dormir de la sorte ? »
— « Je pense, mon maître », dit son domestique, « que ce sont les fruits que vous donne la petite vieille qui vous font dormir ainsi. »
— « Bah ! Ce ne peut pas être cela ; mais, demain, je me surveillerai mieux et ferai en sorte de ne pas m’endormir. »
Le domestique lui donna le second mouchoir, qui était gris, comme il lui avait donné le premier, qui était blanc.
Le lendemain matin, comme ils attendaient encore, auprès de la
fontaine, la petite vieille arriva aussi et, cette fois, elle avait au bras un panier rempli de belles oranges.
— « Acceptez une orange de moi, mon beau seigneur », dit-elle à Fanch ; « voyez comme elles sont belles ! »
Le domestique avait bien envie de dire à son maître de ne pas accepter, mais, il n’osa pas, et Fanch prit une orange, la mangea et s’endormit encore.
Midi sonna au même moment, et la princesse arriva ; le voyant encore
endormi, elle poussa un cri de douleur, et dit :
— « Ah ! Le malheureux, il dort encore ! »
— « C’est la petite vieille qui en est cause », dit le domestique. « Elle est encore venue, et a offert une orange à mon maître, qui l’a acceptée et mangée, et aussitôt il s’est
endormi. »
— « Voici un troisième mouchoir, que vous lui donnerez, quand il se réveillera, et vous lui ferez mes derniers adieux, car, hélas ! Je ne le reverrai
plus. »
Et elle s’éleva encore vers le ciel, en poussant une plainte touchante.
Fanch se réveilla à l’instant, et vit le bas de sa robe et ses pieds.
A DEMAIN POUR LA FIN DE CE CONTE DE BASSE BRETAGNE