1 – 7 juin 1940
Lorsque je quittais Rennes, ce soir là,
Rennes sous le bruine et le ciel gris, une inquiétude comme je n’en n’avais jamais encore connue me serrait le cœur.
Impression bizarre qui vous enveloppait de partout sans que vous saviez si elle provenait de tous ces gens qui passaient en parlant à voix basse comme dans la chambre d’un malade condamné par le docteur …... de cette voiture criblée de balles abandonnée à un carrefour, et qui n’étonnait plus personne, du vide de ces rues la veille encore encombrée du dernier flot de réfugiés.
Quelques journaux …… Avec Paris, ville ouverte, les communications venaient d’être coupées.
Je me souviens encore de cette journée … Ce dernier cours de mathématique de LEROY au lycée, que je n’ai guère suivi … Cette réunion de notre cercle d’études jéciste, dans une petite salle enfumée du cercle Saint-Yves.
Après la prière commune, nous y avons parlé du sort de la France et du nôtre.
Dix neuf ans, et pas d’armes pour lutter.
La France peut-elle s’avouer vaincue, alors qu’elle a utilisé une si faible partie de ses énergies ?
L’espoir n’est pas encore perdu.
En Bretagne, au sud de la Loire, en Afrique, en Angleterre, on résistera sûrement et nous aurons le temps de recevoir des armes afin de nous ressaisir.
Pour rester libres à la disposition de notre nation, n’est-ce pas vers ces pays qu’il faut se rendre ?
Chacun a envisagé le moyen de joindre l’un d’eux, de préférence celui où il pourra trouver de la famille pour le recevoir, et en quelques instants, nous avons constaté notre accord sur l’attitude à adopter.
A midi, lorsque nous nous sommes séparés, nous avons chanté le chant des adieux.
A ces impressions, s’en viennent mêler d’un peu moins récentes, mais elles tiennent une grande place dans mon esprit.
Il y a huit jours, après les épreuves écrites de l’examen de l’école Polytechnique, j’étais me reposer au « vieux sorbiers », propriété familiale.
Cette maison de campagne, où nous passons habituellement nos vacances, est située à mi chemin entre Rennes et Angers.
Maman y habite depuis le début de la guerre avec les plus jeunes de ses nombreux enfants.
La situation était déjà sérieuse, et de nombreux réfugiés occupaient le pays.
Père, venu pour le week-end devait rejoindre ses affaires.
Avant de partir, il m’avait fait part de ses inquiétudes.
Obligé d’aller à Paris en laissant les siens ici,
Louis, l’aîné, étant mobilisé, c’est à moi qu’il faisait confiance pour agir en cas d’événements graves.
De Rennes, je puis en effet facilement rejoindre la demeure familiale.
Il m’a laissé, pour parer à toute éventualité, les papiers de l’auto, une grosse Hotchkiss familiale...
Aujourd’hui, les Allemands vont entrer dans Paris. Peu de temps leur suffira pour nous atteindre…
Père a-t-il pu rejoindre la famille ?
ou
Faudra-t-il agir, et comment ?
Cette incertitude jointe au sentiment d’une pareille responsabilité m’a tenaillée depuis le matin.
Il faut évidemment rejoindre « les Sorbiers » ? Y retrouver la famille et remplacer Père s’il n’y était pas.
J’ai songé un instant aux cours auxquels je devais consacrer ce vendredi après-midi. Tant pis, je partirais le soir même.
Je suis passé rapidement dans ma chambre d’étudiant pour remplir la valise des samedis soirs.
J’ai ajouté sans réfléchir longtemps mes affaires les plus précieuses, bousculant sans ménagement la pile énorme des cahiers Tellière, de ces trois années de taupe.
Comme ils m’ont semblé inutile !…
Absorbé par ces pensées, j’ai atteint la place de la gare, m’étonnant que dans le désarroi général et mon agitation d’esprit, elle ai gardé l’aspect paisible des jours ordinaires.
Tout les calme, le cars d’Angers stationne à son emplacement de chaque jour, il n’est qu’à demi occupé par les habituels passagers.
Il pleut.
La route coutumière défile mornement, tandis que les mêmes pensées se succèdent, entra^nées par le paysage et comme avalées par lui.
Le problème de l’avenir a tellement d’inconnues qu’on ne peut songer à l'éclairer de quelque façon qu’on la prenne.
Cela déroute mon esprit habitué au mathématiques et à une vie minutieusement organisée.
Enfin, la route brillante et mouillée prend un aspect su connu qu’elle me tire de cette rêverie et mon cœur bat bien fort, lorsque descendant à la brune du car ruisselant, le retrouve ‘les vieux Sorbiers ».
La famille est à table.
« Où est Papa ? » demandé-je à peine entré.
La question reste dans réponse.
Ainsi se passa ce que vous savez tous.
L’approche de plus en plus inquiétante des Allemands, le passage à l’étrangers de nos amis des environs.
Ils fuyaient eux aussi, se mêlant aux réfugiés qui ne cessaient d’encombrer la grand’route …
Le réveil du lendemain au son des bombes qui éclataient au loin.
Le dimanche eut lieu le conseil où nous décidions de partir pour REDON.
Là se trouvait, en effet, le séminaire de mon frère aîné où s’y était également replié l ‘école où mes jeunes frères étaient en pension.
Nos préparatifs furent interrompus par la demande d’armistice …
******Petit intermède historique :
Le dimanche 16 juin 1940, à Bordeaux, le Président du Conseil Paul Reunaud (62 ans) démissionne. Dans le respect des règles constitutionnelles, le maréchal Phillipe Pétain (84 ans) est chargé de former un nouveau gouvernement.
Au même moment, l'armée allemande traverse la Loire après avoir victorieusement envahit la Belgique et la Hollande et percé le front français à Sedan, dans les Ardennes. Elle pousse devant elle huit millions de civils français ou belges ainsi que les débris de l'armée française.
17 juin 1940
Pétain annonce la demande d’armistice de la France.
« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. » Et il annonce : « C’est le cœur serré que je vous dis, aujourd’hui, qu’il faut cesser le combat. » ******
Celle-ci fuit suivie, le soir même, par un combat d’avions au-dessus de notre contrée si paisible.
Nuit d’inquiétude en attendant l’arrivée des Allemands.
Je ne pouvais me décider à partir pour conserver ma liberté sans avoir laissé la famille sous la protection de quelqu’un.
La mienne était trop peu de chose … Non, il fallait agir, mettre maman à l’abri d’une manière plus sûre que dans ce carrefour de grandes routes.
Nous partirons pour REDON.
C’est ainsi que j’osai proposer cette décision et qu'eut lieu notre exode.
Nous connaissions l’itinéraire pour l’avoir souvent parcouru à bicyclette, et pouvions éviter ainsi les chemins fréquentés.
A part l’embouteillage de REDON dont nous sortîmes avec peine, tout se passa bien.
A trois heures de l’après-midi, rassuré sur le sort de tous ceux qui m’avaient été confiés.
Ils étaient sous la garde des bons pères Eudistes.
Je songeais à réaliser mon projet tel que je l’avais confié à Maman : gagner la Bretagne, et, si elle ne résistait pas, peut-être gagner l’Angleterre.
A DEMAIN POUR LA SUITE