Dans la série des contes
de basse-Bretagne
EWENN CONGAR
Fin
Il s’arrêta, au bout de quelque temps, devant une forge, au bord de la route, et dit au forgeron :
— « Vite, vite, forgeron ! Fabriquez quatre fers de deux cents livres chacun et attachez-les aux quatre pieds de mon âne. »
— « Vous moquez-vous de moi ? » dit le forgeron.
— « Faites comme je vous dis, et vous serez bien payé. »
Pendant que le forgeron forgeait les fers, l’âne était attaché à un anneau fiché dans la muraille de la forge.
Des enfants s’assemblèrent autour de lui et se mirent à lui tirer les oreilles, pour le faire braire.
— « Détachez-moi », dit l’âne.
— « Un âne qui parle ! » dit l’un d’eux.
— « Que dit-il donc ? » demanda un autre.
— « Il dit de le détacher. »
— « Oui, détachez-moi, mes enfants, et vous verrez beau jeu », reprit l’âne.
Ils détachent l’âne, qui devient aussitôt un lièvre, et de courir !
Le magicien sort de la forge, en entendant les cris des enfants.
— « Où est mon âne ? » demande-t-il.
— « Il vient de déguerpir, sous la forme d’un lièvre. »
— « De quel côté est-il allé ? »
— « Par-là, à travers champs », répondent les enfants.
Et le voilà devenu chien et de courir après le lièvre.
Celui-ci, serré de près, devient pigeon, et s’envole à tire-d’aile.
Le magicien le poursuit encore sous la forme d’un épervier.
Ils arrivent ainsi au-dessus de la capitale de l’Espagne.
L’épervier allait atteindre le pigeon, quand celui-ci, sous la forme d’un anneau d’or blanc,
et passa au doigt de la princesse, fille du roi d’Espagne, qui était à sa fenêtre.
Le magicien reprend alors sa forme humaine et se présente au palais, comme médecin, afin de donner ses soins au vieux roi, malade depuis longtemps, et à qui les médecins du pays ne pouvaient rendre la santé.
Il trouve remède à son mal, le guérit, et le roi, pour reconnaître ce service, lui dit de demander ce qu’il voudra et il le lui accordera.
— « Eh bien ! Sire », répond le médecin, « Je ne demande rien autre chose que l’anneau que votre fille porte à son doigt. »
— « Vous vous contenteriez de si peu ? Demandez-moi de l’or, et je vous en donnerai, à discrétion.»
— « Je vous le répète, Sire, je ne veux que l’anneau de votre fille. »
— « Eh bien ! Vous l’aurez, demain matin. »
Quand la princesse se coucha, sa bague au doigt, elle fut bien étonnée et tout effrayée de trouver un homme à côté d’elle, dans son lit.
C’était Congar, qui lui dit, pour la rassurer et l’empêcher de crier :
— « Je suis celui qui vous a délivrée du magicien et j’étais tout à l’heure à votre doigt, sous la forme d’un anneau. Le magicien me poursuit, sans relâche. Il a rendu la santé à votre père, et, pour prix de ce service, il demande l’anneau que vous avez au doigt. Vous promettrez de le lui donner, mais, à la condition qu’on vous permettra de le passer vous-même au doigt du médecin. Au lieu de le lui passer au doigt, vous le laisserez tomber à terre : ne vous inquiétez pas du reste, et tout ira bien, si vous suivez ponctuellement mes instructions. »
La princesse promit.
Le lendemain matin, le vieux roi fit appeler sa fille dans sa chambre et lui dit, en lui montrant le magicien, déguisé en médecin :
— « Voici, ma fille, l’homme qui m’a rendu la santé, quand tous les médecins du royaume ne pouvaient rien contre mon mal ; pour toute récompense d’un si grand service, il ne demande que cet anneau d’or que vous avez au doigt, et vous ne le lui refuserez pas, sans doute. »
— « Non, certainement, mon père », répondit la princesse, « et je demande à le lui passer moi-même au doigt, sur-le-champ. »
Et elle ôta son anneau de son doigt, et, au moment où elle allait le passer au doigt que lui tendait complaisamment le médecin, elle le laissa tomber à terre, comme par maladresse ou par émotion.
Aussitôt l’anneau se change en pois chiche,
et le magicien, en coq, pour l’avaler.
Mais le pois chiche devient alors renard,
qui croque le coq.
Et c’est ainsi que le combat finit, et que Ewenn Congar triompha du magicien.
La princesse présenta alors son libérateur au monarque, lui raconta ses aventures et ses épreuves diverses ; et Congar épousa la fille du roi d’Espagne, et il y eut, à cette occasion, de belles fêtes et de grands festins, auxquels put prendre part le vieux Congar lui-même, qui vivait encore.
(Conte par Guillaume Garandel, du Vieux-Marche - Septembre 1871.)