« La Bretagne, avec sa masse démographie et son identité, est la seule à pouvoir faire plier ou convaincre Paris des bénéfices d’une vraie régionalisation ». Cette phrase de Joseph Martray résume l’ensemble.
Dans son ouvrage de 1947, « Le problème breton et la réforme de la France », il développe parfaitement cette thèse et plaide pour le développement régional, une vision « girondine » de l’aménagement du territoire. Quelques semaines plus tard et par hasard (ils ne se connaissaient pas encore), paraît un ouvrage bien plus diffusé rédigé par le géographe français Jean-François Gravier : « Paris et le désert français ».
Sur le fond, les deux ouvrages ont des analyses semblables et constatent que Paris verrouille la France.
Sur la forme, l’analyse de Gravier va être très médiatisée et susciter le plan de déconcentration industrielle français. L’ambition centrale est dans un contexte de guerre froide de faire exploser la « ceinture rouge » communiste à Paris pour faire de la capitale le temple du pouvoir décisionnel.
Les régions en contrepartie recevront les activités productives en les spécifiant (l’aéronautique en Aquitaine, l’agroalimentaire et les Télécoms en Bretagne, la chimie en Rhône-Alpes etc.) même si l’ensemble des sièges sociaux sera bien sûr à Paris.
Le fédéraliste J.-F. Gravier avait d’ailleurs rencontré le patronat qui l’a appuyé, notamment car –dans un contexte de guerre froide- la menace communiste pouvait peser sur une capitale davantage concernée que d’autre par les Révolutions.
La main d’œuvre était en province moins chère (30 % de moins en Bretagne) et surtout moins syndiquée.
A l’inverse, J. Martray, également fédéraliste, avait lui une vision politique et était davantage obsédé par le pouvoir régional et notamment breton.
Son livre n’aura pas du tout le même retentissement (c’est un livre ascendant, régional et donc jugé en France sans intérêt).
Pendant 3 ans (1947-1950), il échoua à créer un parti politique breton. Il lancera ensuite le C.E.L.I.B en privilégiant l’économie … pour bien sûr parvenir en partie à ses fins politiques (la Bretagne fut en 1964 la première à bénéficier d’un C.O.D.E.R, ancêtre de nos régions administrées).
Joseph Martray (1914-2009)
Jean-François Gravier (1915-2005)
La comparaison entre les deux auteurs est donc intéressante pour notre futur.
D’un côté, un fédéraliste qui a réussi à convaincre le patronat parisien d’une déconcentration (non d’une décentralisation) car le projet confortait la capitale. De l’autre, un régionaliste breton qui échoue dans son message et du coup « prend les armes » pour initier des revendications économiques qui déboucheront sur une forme imparfaite de reconnaissance politique (n’oublions pas que, depuis la Révolution française, la Bretagne n’avait même plus de nom).
D’un côté, le politique a donc initié le réagencement économique. De l’autre, en créant un réel rapport de force, l’économie a créé le politique. Deux stratégies bien différentes et qui posent question sur l’avenir breton.
Faut-il aujourd’hui un « Gravier breton » capable de convaincre Paris d’une réorganisation régionale et d’une forme de subsidiarité ? Faut-il à l’inverse « taper du poing sur la table » et prendre le pouvoir économique, se prendre en charge et démontrer preuves à l’appui que la régionalisation est l’avenir français ?
Nous penchons clairement pour la seconde solution. Il nous faut courir plus vite que Paris. Les Corses ou les DOM ont obtenu des statuts singuliers. Mais, pour les raisons évoquées (taille, poids démographique, identités…) les avancées régionalistes de l’ensemble de la France ont toutes été initiées par les Bretons.
A tort ou à raison, les Bretons se sentent Français. C’est un fait. Ce sont aujourd’hui les seuls à pouvoir déplacer la pyramide invraisemblable qui nous gouverne, sans doute une nouvelle fois en abattant la première carte de la pertinence économique, touristique etc., pour grappiller et gagner des pouvoirs.
Les Bretons sont moribonds au plan politique. La ligne de notre futur ne peut-être qu’axée sur l’économie et le business régional, avec derrière des forces pour peser et créer un réel rapport de force pour faire plier Paris.
Un concept révolutionnaire ?
Non, une stratégie à la Martray.
(source Breizbook)