• Châteaubriant (fin)

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    Anecdote de la tombe de Guy Môquet

    Après l’exécution, les soldats allemands disséminèrent les 27 cercueils, trois par trois dans 9 cimetières des environs, »de préférence des petites communes, d’accès difficile, espérant ainsi que l’oubli passerait plus vite, qu’on hésiterait à se déplacer » , raconte Alfred Gernoux (in »Châteaubriant et ses martyrs« , 1946).

    Annick, 73 ans aujourd’hui, est la fille de l’institutrice

    du village dans lequel a été enterré le jeune militant.

    Elle raconte:

    « Spontanément, les tombes furent fleuries, chaque communes voulant faire mieux que l’autre. GM-Stele.JPG Les cercueils n’étaient désignés que par des numéros, mais la liste des noms fut rapidement colportée par les rumeurs.

    A 17 km de Châteaubriant, le Petit-Auverné compte en 1941 quelques centaines d’habitants, répartis dans de grosses fermes, autour d’une épicerie et deux écoles : celle des Bonnes-Sœurs et celle de la République.

    Petit Auverné  

    P-A-eglise-vue-du-N-copie-1.jpg P-A-place-eglise.JPG P-A-rte-du-G-A.JPG P-A-rte-Moisdon.JPG confirmation.jpg L’institutrice de l’enseignement publique vit seule avec sa fille Annick : son mari a été fait prisonnier en Allemagne.

    Annick a 73 ans aujourd’hui. C’est elle qui raconte aujourd’hui pour la première fois l’histoire de la tombe de Guy Môquet.

    « Ces jours-là, toute la région ne parlait que des 27 otages fusillés à La Sablière.

    Le 24 octobre au matin, on apprend que trois d’entre eux allaient être enterrés dans le cimetière du village, dont Guy Môquet.

    Parmi nous, son nom était le seul à circuler, parce qu’il était si jeune.

    A l’époque, être communiste, c’était faire partie des bannis, en plein dans le collimateur, comme si on était juif.

    Pour Guy Môquet, la population n’était pas allée chercher si loin que ça : c’était un enfant qu’on avait fusillé, et voilà. Il était un héros.

    Au Petit-Auverné, le jour de l’inhumation, l’ordre a été donné que personne ne sorte des maisons, ni ne s’approche du cimetière à partir du début de l’après-midi.

    Un recoin le long du mur avait été choisi pour y creuser les tombes.

    Le jour de la Toussaint, une fermière vient chez nous avec son beurre.

    Elle est très émue. « Si vous voyez les tombes ! », dit-elle. « Elles sont couvertes de fleurs, bleues pour l’une, blanches pour l’autre, rouges pour la troisième ».

    Un cordon empêchait d’accéder directement aux trois tombes.

    Il n’y avait pas de plaque, seulement des numéros, mais tout le monde savait que celle de Guy Môquet était au milieu.

    A cause de la guerre, nous vivions en vase clos et chaque chose prenait une proportion incroyable.

    Les trois tombes étaient devenues la grande affaire de la commune.

    Tout le monde en parlait sous le manteau, en faisant attention, car nul ne savait qui étaient ses amis et ses ennemis.

    Il n’y avait pas d’Allemands au village, mais nous vivions dans la peur de la délation, sans oser lever le petit doigt.

    C’était une époque où on vendait les autres pour pas grand-chose.

    Des fleurs continuaient d’apparaître sur les trois tombes, de simples bouquets de jardins, mais sans cesse renouvelés.

    Au Petit-Auverné, le car de Nantes passe deux fois par semaine.

    Regarder ceux qui montent et ceux qui descendent est alors une occupation prisée.

    Un soir, la rumeur s’est mise courir que Madame Môquet était dans le car.

    Au village, elle s’était installée dans une des chambres que louait Madame Salmon, au-dessus de son bistrot.

    Il y avait un cabinet de toilette et je crois même des WC, ce qui était alors considéré à la campagne comme un grand raffinement.

    C’était courageux de la part de madame Salmon de recevoir cette dame.

    Ce genre de chose pouvait avoir un impact à l’époque, on risquait gros.

    De tels bruits courraient sur Madame Môquet, qu’elle sortait seulement pour aller au cimetière et à la nuit tombante, dans le village sans lumière, à l’heure où tout le monde était barricadé chez soi.

    Un soir, quelqu’un frappe à la porte de notre maison.

    Avec maman, on meurt de peur. On se regarde, on ne sait pas. On entend une petite voix.

    Elle dit : « C’est madame Môquet ».

    Cette femme-là chez nous ! C’était inattendu, totalement ! En arrivant dans notre bourg, Madame Môquet n’avait aucune idée de l’endroit où elle mettait les pieds.

    Tout était périlleux en ce temps-là, elle ne connaissait personne et elle était d’une famille communiste.

    Ma mère ne faisait partie de rien, ni de la résistance, ni d’aucun parti, mais même sans faire de politique, on pouvait être sûr qu’elle était quelqu’un de laïc.

    A l’époque, c’était quelque chose qui comptait beaucoup.

    On disait encore « l’école du diable » pour désigner l’école publique et, au Petit-Auverné, toutes les filles -sauf moi- étaient inscrites chez les Sœurs.

    Ma mère, comme plupart des instituteurs laïques, était d’ailleurs suspectée d’être communiste et à la fin de la guerre, au moment où on fusillait les gens pour un Oui ou pour un Non, elle a même failli être exécutée.

    Au Petit-Auverné, Madame Môquet avait réfléchi et s’était dit, qu’au fond, la seule personne, à pouvoir la recevoir, à qui elle pourrait parler, était l’institutrice de l’école publique.

    Avec maman, nous étions blotties de l’autre côté de la porte, terrifiées, surtout qu’en face de chez nous, habitait le maire, un collaborateur.

    C’était compliqué, dangereux de recevoir quelqu’un comme Madame Môquet. Mais comment ne pas le faire ? On ouvre. Je n’oublierai jamais cette image tant elle était saisissante.

    Se dressait devant nous en pleine nuit une grande dame brune, tout en noir, les cheveux noués en catogan, beaucoup d’allure, une élégance incroyable, figée dans la dignité et la douleur.

    Elle entre. De son sac à main, elle sort son portefeuille et de son portefeuille une lettre. Elle nous la tend. C’est celle de son fils Guy. On la lit et on la relit. On reste debout, sans savoir quoi faire.

    Maman lui a dit qu’elle pouvait revenir à son prochain voyage, en toute discrétion bien sûr.

    La fois suivante, Madame Môquet tenait une couronne mortuaire, en petite perles tressées comme on faisait à l’époque.

    Elle nous dit : « Cela fait trois semaines que je dors avec cette couronne contre moi, parce que je veux lui transmettre tout mon amour avant de la déposer sur la tombe de mon fils ».

    Elle l’avait cachée dans ses bagages pour le voyage.

    Elle est venue cinq ou six fois, toujours avec son second fils, Serge, qui avait deux ou trois ans de plus que moi.

    Quand elle était avec lui, elle avait un air très doux, n’affichait rien, jouait beaucoup.

    Je ne l’ai jamais vue pleurer. Avec une amie, nous avions adopté Serge, nous partions des heures en vélo ensemble.

    Ensuite, les voyages sont devenus trop périlleux et ils ne sont plus revenus.

    Dans le village, personne ne nous a jamais parlé de ces visites, sauf l’épicière, qui était devenue une grande amie de ma mère.

    Elle nous donnait de la laine pour que je tricote des gants à ses fils prisonniers.

    Plus tard, on a appris qu’elle était de ceux qui déposaient entre autre les fleurs sur la tombe".»

    Tombe de Guy Môquet au Père Lachaise  

    moquetplachaise.jpg Source : Nouvel Obs 

    Florence Aubenas

     

     

     


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