• Extraits des Contes Populaires de Basse Bretagne

    (suite et fin))

    Baz’ a zo brema pell-amzer,
    D’ar c’houlz m’ho defoa dennt ar ier.


    Il y a de cela bien longtemps,
    Quand les poules avaient des dents

    5edp4azh
    Iouenn Kerménou et sa femme restèrent à la cour, et y vécurent désormais tranquilles et heureux. Au bout de neuf mois, la princesse accoucha encore d’un fils.

    Leur premier enfant était mort.

    Iouenn ne songeait plus à l’homme mort et au marché conclu entre eux pour le retirer de dessus son rocher désert, au milieu de la mer.

    Mais, quand le moment fut venu, au bout d’un an et un jour, un jour du mois de novembre que sa femme et lui étaient tranquillement auprès du feu, la mère chauffant son enfant, et lui les regardant, quelqu’un arriva inopinément dans la maison, ils ne surent comment, et dit :
    — « Bonjour, Iouenn Kerménou ! »

    La princesse fut tout effrayée, à la vue de cet inconnu, d’un aspect horrible.

    kahina-invasion-arabe-musulman-maghreb-2
    Iouenn reconnut l’homme mort qu’il avait arraché aux chiens.

    Celui-ci reprit :
    — « Vous rappelez-vous, Iouenn Kerménou, que lorsque vous étiez seul sur votre rocher aride, au milieu de la mer, il y a de cela un an et un jour, vous me promîtes de me céder, pour vous retirer de là, une moitié de tout ce qui appartiendrait à votre femme et à vous, au bout d’un an et un jour? »

    cadavre
    — « Je me le rappelle, » répondit Iouenn, « et je suis prêt à tenir ma parole. »

    Et il demanda les clefs à sa femme, ouvrit toutes les armoires et tous les coffres où étaient leur or, leur argent, leurs diamants et leurs parures, et dit :
    — « Voyez! Je vous donnerai du fond du cœur une moitié de tout ce que nous avons là, et ailleurs aussi ».
    — « Non, Iouenn Kerménou, ce n’est pas de ces biens-là que je demande et je vous les laisse tous; mais, voici quelque chose de plus précieux et qui vous appartient encore à tous deux (et il montrait l’enfant entre les bras de sa mère), et une moitié m’en appartient aussi. »
    — « Dieu ! » s’écria la mère, en entendant cela, et en cachant son enfant dans son sein.
    — « Partager mon enfant !… » s’écria, de son côté, le père, saisi de terreur.
    — « Si vous êtes homme de parole, » reprit l’autre, « songez à ce que vous m’avez promis, sur le rocher : que vous me céderiez, au bout d’un an et un jour, la moitié de tout ce qui appartiendrait en commun à votre femme et à vous, et je pense que cet enfant est bien à vous deux ?… »
    — « Hélas ! c’est vrai, je l’ai promis, » s’écria le malheureux père, les larmes aux yeux ; » mais, songez aussi à ce que j’ai fait pour vous, quand votre cadavre avait été livré en pâture aux chiens, et ayez pitié de moi!… »
    — « Je réclame ce qui m’est dû, une moitié de votre fils, comme vous me l’avez promis. »
    — « Jamais je ne permettrai que mon fils soit partagé en deux, emportez-le plutôt tout entier ! » s’écria la mère.
    — « Non, j’en veux la moitié seulement, selon nos conventions. »
    — « Hélas ! Je l’ai promis et je dois tenir ma parole, » dit Iouenn, en sanglotant et en se couvrant les yeux de sa main.

    L’enfant fut alors déshabillé tout nu et étendu sur le dos, sur une table.
    — « Prenez maintenant un couteau, Iouenn Kerménou, et taillez-moi ma part, dit l’homme mort. »
    — « Ah ! Je voudrais être encore sur le rocher aride, au milieu de la mer ! » s’écria le malheureux père.

    Et, le cœur brisé de douleur, il leva le couteau sur son enfant, en détournant la tête. L’autre lui cria, en ce moment :
    — « Arrête ! Ne frappe pas ton enfant, Iouenn Kerménou ! Je vois clairement, à présent, que tu es homme de parole, et que tu n’as pas oublié ce que j’ai fait pour toi. Moi aussi, je n’ai pas oublié ce que je te dois, et que c’est grâce à toi que je vais maintenant en Paradis, où je ne pouvais aller, avant que mes dettes eussent été payées et que mon corps eût reçu la sépulture. Au revoir donc, dans le Paradis de Dieu, où rien ne m’empêche plus d’aller… »

    Et il disparut alors.
    Le vieux roi vint à mourir, peu après, et Iouenn Kerménou fut roi à sa place

    couple prncier 1

    Conté à Marguerite Philippe,
     par une pèlerine,
    en allant en pèlerinage au Rélec. — 1873.

    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique